Dépistage des cancers et maladies chroniques

A-t-on plus ou moins recours aux examens de dépistage des cancers quand on vit avec une maladie chronique ? Observe-t-on plus ou moins d’inégalités sociales dans ce recours ? Focus chez les personnes vivant avec le VIH.

Vivre avec une maladie chronique et être suivi et pris en charge pour cette pathologie est-il favorable ou néfaste à la réalisation d’actes de prévention vis-à-vis d’autres pathologies ? La réponse à cette question n’est pas évidente. D’un côté, on peut penser qu’un patient atteint d’une maladie chronique (diabète, VIH etc.) déjà contraint à un suivi médical particulier et/ou à des soins médicaux lourds, va se focaliser sur cette pathologie, au détriment d’actes recommandés pour prévenir la survenue d’autres pathologies. Par ailleurs, les patients atteints d’une maladie grave et incurable éprouvent parfois davantage de difficultés à se projeter dans l’avenir et à percevoir l’intérêt des soins de prévention. D’un autre côté, les patients suivis pour une pathologie chronique sont régulièrement en contact avec le milieu médical : ils sont donc peut-être plus sensibilisés et enclins à effectuer des actes de prévention pour d’autres pathologies. Nous nous sommes intéressés à cette question en étudiant la pratique des dépistages des cancers.

Nous avons conduit une étude parmi les personnes vivant avec le VIH en France métropolitaine. Les résultats (1) révèlent que les femmes séropositives suivies à l’hôpital pour leur infection au VIH n’étaient pas moins dépistées que les femmes de la population générale pour le cancer du sein et l’étaient davantage pour le cancer du col de l’utérus. Le niveau de dépistage du cancer colorectal était faible (<50%) mais équivalent en population générale et en population séropositive, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Cela s’explique probablement par un ancrage important des recommandations de dépistage et de prise en charge des cancers dans la prise en charge du VIH (2). Les cancers sont en effet l’une des principales causes de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH, à l’heure où les trithérapies ont largement démontré leur efficacité et limité la morbidité et la mortalité liées au sida (3). Une mesure mise en place pour limiter le poids des cancers dans cette population est notamment la formulation d’une recommandation spécifique aux femmes séropositives d’effectuer un dépistage annuel du cancer du col de l’utérus, quel que soit leur âge, alors que ce dépistage n’est recommandé que tous les 3 ans pour les femmes de 25-65 ans en population générale.

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Source : BEH, 2016;(5-6):80-8

 

Quelle est la situation pour les autres pathologies chroniques ? Une autre de nos études (4) a montré que les femmes obèses et les femmes diabétiques réalisent moins souvent un dépistage du cancer du sein que les femmes non obèses et non diabétiques, respectivement. Le dépistage du cancer du col de l’utérus était plus élevé chez les survivantes de cancer que parmi les femmes sans antécédent de cancer. A l’inverse, les femmes obèses rapportaient un moindre dépistage du cancer du col de l’utérus que les femmes non obèses. Le dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes diabétiques et chez celles atteintes de pathologie respiratoire chronique était moins fréquent, mais ce moindre recours était expliqué par les facteurs socioéconomiques. Pour les autres pathologies étudiées (maladies inflammatoires, maladies cardiovasculaires, dépression, dyslipidémies, hypertension, arthrose, troubles thyroïdiens), aucune différence n’a été constatée entre le groupe des femmes souffrant de cette pathologie et le reste de la population.

Qu’en est-il des inégalités sociales ?

Là encore la réponse n’est pas simple. On pourrait penser qu’une pathologie chronique tend à creuser les inégalités d’accès aux soins primaires (visite chez le médecin) ou aux actes de prévention. A l’inverse, on pourrait aussi supposer que le suivi médical pour une pathologie chronique donnée – si tant est qu’il soit accessible à tous, indépendamment du niveau social – constitue une porte d’entrée dans le parcours de soins pour les personnes de plus faible niveau social, lissant ainsi les inégalités.

Nos travaux ont montré que les inégalités sociales dans le recours au dépistage du cancer du sein étaient légèrement plus marquées dans la population séropositive par rapport à la population générale. En revanche, les inégalités dans le recours au dépistage du cancer du col de l’utérus étaient plutôt atténuées. Comment expliquer ces observations ? Le cancer du sein n’est pas particulièrement plus agressif ou prévalent dans la population séropositive par rapport à la population générale, et il n’est pas sujet à une recommandation de dépistage spécifique. Les femmes de faible niveau social vivant avec le VIH pourraient ainsi échapper davantage au dépistage que les femmes de même niveau social dans la population générale, peut-être à cause de difficultés à concilier les soins pour leur pathologie et les actes de prévention ou encore d’un plus faible intérêt pour la prévention et une faible projection dans l’avenir en raison du VIH. En revanche, les femmes séropositives de niveau social plus élevé sont peut-être davantage enclines à réaliser ce dépistage par rapport aux femmes de même niveau social dans la population générale, dans le but d’optimiser leur pronostic et leur qualité de vie malgré leur maladie en prévenant la survenue de comorbidités. D’autre part, l’atténuation des inégalités dans le recours au dépistage du cancer du col de l’utérus parmi les femmes séropositives découle probablement de la recommandation spécifique formulée à l’égard de cette population et de son importance majeure dans le cadre de la prise en charge du VIH.

En conclusion, les niveaux de recours aux actes de prévention tels que les dépistages systématiques des cancers, et les inégalités sociales associées, ne sont pas automatiquement plus faibles ou plus élevés parmi les personnes souffrant de maladie chronique que dans le reste de la population. Tout dépend de la pathologie chronique en question, de sa prise en charge et probablement aussi de l’acte de prévention lui-même (modalités, prise en charge). Les inégalités sociales dans le recours à des actes de prévention pourraient être modifiées du fait d’un accès aux soins et/ou de comportements de santé différents chez les sujets atteints de maladie chronique.

  1. Tron L, Lert F, Spire B, Dray-Spira R, groupe-Vespa2. Recours au dépistage systématique des cancers parmi les personnes vivant avec le VIH suivies à l’hôpital en France métropolitaine. Résultats de l’enquête ANRS-Vespa2, 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(5-6):80-8.
  2. Morlat P. Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Rapport 2013. Paris: La documentation française2013.
  3. Roussillon C, Hénard S, Hardel L, Rosenthal E, Aouba A, Bonnet F, et al. Causes de décès des patients infectés par le VIH en France en 2010. Étude ANRS EN20 Mortalité 2010. BEH. 2012 1er décembre 2012(46-47):541-5.
  4. Constantinou P, Dray-Spira R, Menvielle G. Cervical and breast cancer screening participation for women with chronic conditions in France: results from a national health survey. BMC cancer. 2016;16(1):255. PubMed PMID: 27029643. Pubmed Central PMCID: PMC4815180. Epub 2016/04/01. eng.

 

Auteur : Laure Tron

Doctorante en épidémiologie sociale, je travaille sur le recours au dépistage des cancers et les facteurs de risque cardiovasculaire parmi les personnes vivant avec le VIH en France (enquête Vespa)

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