La répartition des ressources – matérielles, financières, sociales – est au cœur de l’analyse de la façon dont les sociétés façonnent la santé.
Le manque de temps est l’une des raisons les plus citées comme obstacle à l’exercice et l’alimentation saine1,2. Avoir du temps est aussi indispensable pour se créer des liens sociaux et les entretenir, pour travailler et pour prendre soin de soi et, notamment, aller chez le médecin… Le « temps » semble être le candidat parfait pour être un déterminant (social) de santé, qui est digne de trouver sa place dans les différents schémas et modèles décrivant les relations complexes entre facteurs sociaux et santé (exemple figure 1). Pourtant il n’en est rien actuellement : nous le trouvons peu, voire nulle part, dans ces diagrammes.

Le problème, pour une équipe australienne auteur de l’article “Not all hours are equal: could time be a social determinant of health?” (Toutes les heures ne sont pas égales : le temps, un déterminant social de la santé?) 3, repose dans la façon utilisée pour définir et quantifier le temps dans les études quantitatives, notamment en épidémiologie sociale. Elle propose de distinguer deux dimensions mesurables du temps : la quantité et l’intensité. Une personne pauvre en temps sera donc quelqu’un manquant de temps libre et qui est souvent dans la précipitation (rushing) c’est-à-dire avec une forte intensité du temps. Dès lors, le temps trouve sa place dans les schémas des déterminants sociaux de la santé, avec une relation dans les deux sens : le temps disponible et son intensité influent sur la santé et, à l’inverse, une détérioration de la santé « consomme » du temps.
Pour tester leur théorie, ils ont utilisé des données d’une enquête sur 9177 foyers australiens. Ils ont constaté que le fait d’être pauvre en temps est un obstacle à l’activité physique et que la précipitation est associée à une moins bonne santé perçue physique et mentale. Les facteurs associés au fait d’être dans la précipitation incluaient le sexe (être une femme), la monoparentalité, le handicap et un déséquilibre dans les temps consacrés entre travail et famille.
Ces résultats suggèrent qu’il serait en effet intéressant de mesurer ces deux dimensions du temps dans d’autres études et d’étudier plus avant son rôle..
Ces dimensions du temps seraient très utiles dans les analyses des disparités de santé entre les deux sexes. On sait qu’en France, malgré le fait que les femmes consacrent plus de temps au travail (domestique, familial et professionnel) que les hommes,4 leurs revenus professionnels restent, en moyenne et à qualification égale, inférieurs à ceux des hommes5.
Elles seraient très utiles également pour expliquer certaines disparités de recours aux soins entre les classes sociales. Dans la cohorte SIRS, cette question du temps (qui n’était pas interrogée de façon systématique et quantitative) apparaissait souvent au cours des entretiens avec les personnes aux emplois peu qualifiés : l’absence de maîtrise de leur temps professionnel et la longueur des déplacements domicile-travail limitent leur disponibilité horaire pour recourir aux soins ou font que ce recours a volontiers un coût supplémentaire (déposer une demi-journée de congés par exemple) par rapport aux professions supérieures (cadres, professions libérales, autoentrepreneurs, etc.).
Références
- Welch N, McNaughton SA, Hunter W, Hume C, Crawford D. Is the perception of time pressure a barrier to healthy eating and physical activity among women? Public Health Nutr. 2009;12(7):888.
- Jabs J, Devine CM. Time scarcity and food choices: An overview. Appetite. 2006;47(2):196-204.
- Strazdins L, Welsh J, Korda R, Broom D, Paolucci F. Not all hours are equal: could time be a social determinant of health? Sociol Health Illn. 2016;38(1):21-42.
- Employment : Temps consacré au travail non rémunéré, rémunéré et total, par sexe.
- Insee – Revenus-Salaires – Écart de salaires mensuels nets entre les hommes et les femmes en 2013.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.