Tabagisme maternel pendant la grossesse et risque d’hyperactivité/inattention chez l’enfant : mythe ou réalité ?

De nombreuses études scientifiques montrent que le tabagisme maternel au cours de la grossesse, même à dose relativement faible, est une cause potentielle de naissance prématurée et d’un petit poids de naissance de l’enfant (1). Des recherches ont également montré que les enfants de mères qui fument au cours de la grossesse ont plus de problèmes de comportement et de symptômes d’hyperactivité/inattention (définis comme le fait de courir et grimper partout, de parler de façon excessive, d’avoir du mal à attendre son tour, à soutenir son attention tant dans le travail que dans le jeu, à se conformer aux directives, à s’organiser dans son travail,  le fait de perdre souvent des affaires nécessaires pour l’école..)(2). Mais est-ce une relation causale ou une simple corrélation ?


Le tabagisme n’est pas réparti de manière aléatoire parmi les femmes enceintes, et on peut se demander si les liens observés avec le comportement de l’enfant ne sont pas principalement le reflet d’autres caractéristiques, telles que la situation sociale des familles. En effet, les femmes issues de familles défavorisées fument plus que celles qui ont une situation favorable, et leurs enfants ont plus souvent des symptômes d’hyperactivité/inattention.

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Une autre explication possible est que cette relation est en partie expliquée par des facteurs génétiques transmis des mères à leurs enfants.

Pour répondre à la question de la nature des liens entre tabagisme maternel pendant la grossesse et symptômes d’hyperactivité/inattention chez l’enfant, les épidémiologistes ont mis en place des designs d’études variés. Par exemple, certaines études, menées dans des pays scandinaves ont montré qu’au sein d’une même famille, les enfants nés alors que la mère fumait pendant la grossesse n’ont pas plus de problèmes de comportement que ceux nés alors que la (même) mère ne fumait pas (3).

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Une autre étude menée en Grande-Bretagne auprès d’enfants nés grâce à la fécondation in vitro (FIV) et comparant des enfants nés par don d’ovocyte (c’est-à-dire génétiquement non liés à leur mère) à ceux nés par don de sperme (c’est-à-dire génétiquement liés à leur mère), a montré que l’association entre tabagisme maternel et symptômes d’hyperactivité/inattention n’était observée que lorsque les mères et les enfants étaient génétiquement liés. Ceci suggère que l’exposition au tabac in utero ne provoque pas forcément des troubles du comportement chez l’enfant (4).

Ainsi, les facteurs familiaux, qu’ils soient environnementaux ou génétiques, expliquent en partie les liens entre tabagisme maternel et comportement de l’enfant.

Alors, le débat est-il clos ? Pas tout à fait, car les études menées auprès de frères et sœurs et sur des échantillons d’enfants nés à l’issue d’une FIV présentent – comme toutes les études – des limites. Elles sont restrictives puisque les personnes incluses dans ces études sont particulières et non-représentatives de la population générale : elles présentent donc des biais de sélection (5).. En effet, les études menées sur des fratries excluent automatiquement les enfants uniques et ceux nés dans des familles où la mère a fumé au cours de toutes ses grossesses (ce qui peut signifier que son degré de dépendance à la nicotine est important), ainsi que celles où au contraire elle n’a jamais fumé.  Les études menées sur des enfants nés par FIV incluent des personnes qui ont une situation sociale plutôt favorable et qui ont des niveaux de tabagisme très bas. Il y a donc un besoin d’études dans des échantillons plus larges, en utilisant d’autres méthodes permettant de tenir compte de facteurs de confusion et de sélection.

Dans l’ERES, nous avons testé le lien entre tabagisme maternel pendant la grossesse et symptômes d’hyperactivité/inattention de l’enfant à partir des données de la cohorte EDEN, qui a inclus 2002 femmes enceintes et leurs enfants. Les femmes ont été interrogées sur leur tabagisme et celui de leur conjoint pendant la grossesse  et le comportement de l’enfant a été évalué à 5 ans et demi. Pour tenir compte de facteurs pouvant distinguer les mères qui ont fumé de celles qui n’avaient pas fumé pendant la grossesse, nous avons construit des scores de propension (6) : cette méthode imite la randomisation (i.e. l’attribution au hasard) de l’exposition étudiée. Nos analyses ont montré qu’alors que les enfants dont les pères fumaient avaient des niveaux de symptômes d’hyperactivité/inattention comparables à ceux des enfants dont les pères ne fumaient pas, le fait d’avoir une mère fumeuse était un facteur de risque. Même après prise en compte de caractéristiques démographiques, socio-économiques, psychologiques des mères, les mères qui avaient fumé tout au long de la grossesse avait une probabilité 2.2 fois plus élevée d’avoir un enfant avec un niveau élevé de symptômes d’hyperactivité/inattention (7).

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Graphique basé sur: Melchior M, Hersi R, van der Waerden J, Larroque B, Saurel-Cubizolles MJ, Chollet A, et al. Maternal tobacco smoking in pregnancy and children’s socio-emotional development at age 5: The EDEN mother-child birth cohort study. European Psychiatry. 2015;30(5):562-8.

Ainsi, on ne peut pas écarter le fait que le tabagisme maternel pendant la grossesse soit une cause d’hyperactivité/inattention chez les enfants, notamment parce que la nicotine est un stimulant qui pourrait avoir une influence négative sur le développement cérébral de l’enfant. Pour cette raison, et en raison de l’impact du tabagisme maternel sur la prématurité et le petit poids de naissance, les femmes enceintes devraient être encouragées et aidées à arrêter de fumer par les professionnels qui suivent leur grossesse.

1.Andres RL, Day MC. Perinatal complications associated with maternal tobacco use. Seminars in Neonatology. 2000;5:231-41.

2.Linnet KM, Wisborg K, Obel C, Secher NJ, Thomsen PH, Agerbo E, et al. Smoking during pregnancy and the risk for hyperkinetic disorder in offspring. Pediatrics. 2005;116:462-7.

3.Obel C, Olsen J, Henriksen TB, Rodriguez A, Jarvelin MR, Moilanen I, et al. Is maternal smoking during pregnancy a risk factor for hyperkinetic disorder?–Findings from a sibling design. International Journal of Epidemiology. 2011;40:338-45.

4.Thapar A, Rice F, Hay D, Boivin J, Langley K, van den Bree M, et al. Prenatal smoking might not cause attention-deficit/hyperactivity disorder: evidence from a novel design. Biological Psychiatry. 2009;66:722-7.

5.Keyes KM, Davey SG, Susser E. Associations of prenatal maternal smoking with offspring hyperactivity: causal or confounded? Psychological Medicine. 2013:1-11.

6.Austin PC. An introduction to propensity score methods for reducing the effects of confounding in observational studies. Multivariate Behavioral Research. 2011;46:399-424.

7.Melchior M, Hersi R, van der Waerden J, Larroque B, Saurel-Cubizolles MJ, Chollet A, et al. Maternal tobacco smoking in pregnancy and children’s socio-emotional development at age 5: The EDEN mother-child birth cohort study. European Psychiatry. 2015;30:562-8.

Auteur : Maria Melchior

Docteur en sciences en épidémiologie sociale (Université de Harvard) et Habilitée à Diriger des Recherches (UVSQ), je suis Directeur de recherche à l’Inserm. Mes recherches portent sur les inégalités sociales dans le domaine de la santé mentale et des addictions. J'ai un intérêt particulier pour les liens entre situation sociale et trajectoires de santé mentale depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, ainsi que la transmission intergénérationnelle des troubles psychiatriques. Mes travaux reposent principalement sur des données de cohortes longitudinales menées en France (EDEN, ELFE, TEMPO, CONSTANCES) ou dans d’autres pays (Dunedin en Nouvelle-Zélande, ELDEQ au Canada, Danish National Birth Cohort Study au Danemark). J'ai reçu le Research Prize de la European Psychiatric Association (2012) et le Early Career Award de l’International Society of Behavioral Medicine (2004) et suis l’auteure ou la co-auteure de cent articles originaux publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture.