La santé d’une population ne dépend qu’en partie des caractéristiques du territoire qu’elle occupe. Le territoire n’en reste pas moins un « déterminant » important de l’état de santé de ses habitants. Ainsi par exemple, des lieux publics dégradés ont une influence délétère sur la santé mentale ou encore l’aménagement d’un territoire peut favoriser ou non la pratique de la marche ou d’activités physiques bénéfiques pour la santé. Et bien entendu, l’environnement « physique » (bruit, pollution atmosphérique, etc.) a un impact direct sur la santé des habitants.
Un courant de recherche en plein essor
Depuis plus d’une quinzaine d’années, de nombreuses études se sont accumulées pour mesurer les effets des caractéristiques du quartier de résidence sur différents indicateurs de santé de leurs habitants. Pour schématiser, différents types de relations ont pu être mis en évidence [1]. Il peut s’agir :
- d’effets de composition (lié à la concentration d’individus semblables sur un même territoire). Par exemple, certains quartiers urbains particulièrement dotés en logements locatifs bon marché régis par la loi de 1948 peuvent avoir des indicateurs de santé qui ne s’expliquent que par l’âge moyen élevé de leurs habitants et par rien d’autre.
- d’effets d’expositions physiques : le bruit, la pollution atmosphérique, mais aussi l’habitat indigne, la pollution des sols ou de l’eau et toute une série de maladies environnementales (saturnisme, troubles du sommeil, asthme, etc.).
- d’effets d’expositions à des environnements psycho-socio-économiques : la concentration de populations particulières (riches ou pauvres, nationaux ou immigrés, personnes très éduquées ou très peu, etc.) et l’entre soi qui en découle peuvent influencer les normes collectives et individuelles en matière de santé et de bien–être, indépendamment des caractéristiques des personnes elles-mêmes. De tels effets ont été observés pour les habitudes alimentaires, la santé mentale, la consommation de tabac ou d’alcool, ou encore le recours aux soins de prévention. On a pu également observer l’impact de l’insécurité ou de la dégradation des lieux publics sur la santé mentale ou somatique (maladies cardiovasculaires, certains cancers) qui s’expliqueraient par l’exposition chronique au stress, le repli sur soi et l’isolement social qui en découlent.
- d’effets d’expositions à des environnements matériels : il peut s’agir de l’environnement construit et de l’urbanisme – par exemple la densité d’espaces verts, les moyens de transports – ou de l’offre d’équipements et de services (installations sportives, offre alimentaire, offre de soins de santé). De tels effets ont été estimés sur l’activité physique, l’obésité, et sur toute une série de recours aux soins médicaux.
Trois écueils à éviter dans l’étude des liens entre territoires et santé
Pour la recherche en épidémiologie sociale qui travaille à estimer l’impact de « facteurs de risque » sociaux sur les états de santé des individus à partir d’enquêtes statistiques, la prise en compte du territoire de vie est un champ de recherche de plus en plus important. Encore faut-il éviter trois écueils [2] :
- celui du « spatialisme » qui consiste à ne formuler les problèmes qu’en fonction des lieux où ils se manifestent sans tenir compte de la diversité des personnes qui y résident (ou les traversent) ;
- celui du risque – extrêmement fréquent – d’erreur écologique (qui consiste à transférer au niveau individuel les conclusions observées à un niveau collectif) : par exemple, parce que la mortalité périnatale est plus faible dans les quartiers aisés, en conclure qu’au niveau individuel les femmes les plus favorisées ont toujours et toutes des issues de grossesse plus favorables ;
- celui de ne pas pouvoir distinguer ce qui relève d’un effet de composition et ce qui relève d’un effet de l’environnement et du contexte (une exposition collective à un environnement qui est préjudiciable pour toute ou partie des habitants : par exemple une pollution chimique, un environnement dégradé, un désert médical…).
Mais le territoire ne fait pas tout
Pour autant, on observe fréquemment qu’un même contexte n’a pas le même effet pour tous les habitants. Dans un quartier donné, certains habitants pouvaient être particulièrement sensibles aux effets des caractéristiques de leur environnement résidentiel (les moins mobiles ou les plus défavorisés par exemple tandis que d’autres ne le sont pas du tout, soit parce qu’ils fréquentent (au moins autant) d’autres lieux que leur quartier de résidence, soit parce que d’autres caractéristiques les protègent de cette influence délétère [3,4].
La rénovation urbaine s’accompagne-t-elle d’une amélioration de la santé des habitants ?
On sait depuis certaines expériences américaines d’aide au déménagement en dehors des ghettos urbains les plus défavorisés que changer radicalement de quartier peut s’accompagner à long terme de gains de santé, notamment pour les maladies de surcharge.
Les effets de l’amélioration du cadre de vie sur la santé des habitants sont l’objet d’études presque systématiques aux USA, mais pas encore en France. Elles montrent que les gains de santé peuvent être substantiels mais à certaines conditions indispensables : (1) les conduire avec une participation large et réelle des habitants à toutes les étapes, et (2) les accompagner d’actions de promotion de la santé dans le long terme. Agir sur l’environnement construit est souvent nécessaire et peut avoir des effets sur la santé des habitants mais cela ne suffit pas [6].
Par ailleurs, depuis les travaux de l’école de Chicago des années 1940, on sait qu’un environnement dégradé peut avoir des conséquences sur la santé des habitants, par le biais de processus de décomposition des règles et des institutions sociales, ou du stigmate qui s’attache à certains quartiers (jusqu’à de véritables psychoses de relégation décrites en psychologie sociale) [5]. En ce sens, la perception d’une dégradation au cours du temps serait encore plus péjorative que la situation objective à un moment donné.
L’intérêt de telles études conduites avant et après des opérations de rénovation urbaine est de dépasser les limites inhérentes aux études transversales en adoptant un schéma longitudinal ou quasi-expérimental qui permet d’améliorer le niveau de preuve de l’existence d’un lien causal [7].
Pour aller plus loin
[1] Kawachi I, Berkman L, eds. Neighborhoods and health. New York: Oxford University Press, 2003, 352 p.
[2] Chauvin P. Les relations entre la santé et le territoire en épidémiologie sociale. La santé en action 2014; 428: 11-13.
[3] Chauvin P, Parizot I, Vallée J. Les inégalités sociales de santé en milieu urbain : enseignements de la cohorte SIRS. Actualité et dossier en santé publique, mars 2013, n°82, pp.29-32.
[4] Chauvin P, Vallée J. Inégalités de santé: dimensions individuelles et contextuelles. Les Cahiers de l’IAU 2014 ; 170-171 : 46-49.
[5] Wacquant L. Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etats. Une sociologie comparée de la marginalité sociale. Paris : La Découverte (Poche), 2007, 331 p.
[6] Oakes JM, Andrade KE, Biyoow IM, Cowan LT. Twenty years of neighborhood effect research: an assessment. Curr Epidemiol Rep 2015; 2: 80.
[7] Arcaya MC, Tucker-Seeley RD, Kim R, Schnake-Mahl A, So M, Subramanian SV. Research on neighborhood effects on health in the United States: A systematic review of study characteristics. Soc Sci Med 2016; 168: 16-29.