Peut-on parler d’une « héritabilité » ou origine génétique d’un comportement ?

héritabilite, génétique

Les études d’héritabilité visent à quantifier la part des facteurs génétiques dans la variation des traits phénotypiques (caractéristiques visibles de l’organisme). Avant que le génome soit directement étudiable, l’héritabilité était estimée par des études familiales, de jumeaux, ou d’enfants adoptés qui ont permis de mettre en évidence la cause génétique de certaines maladies mono-géniques rares comme la maladie de Huntington ou la mucoviscidose. En revanche, ces études sont mal adaptées pour étudier des maladies multifactorielles où plusieurs gènes peuvent être impliqués et le sont encore moins quand il existe des facteurs environnementaux et de probables interactions entre gènes et environnement, ce qui est souvent le cas en épidémiologie sociale.

Par exemple, quand on s’intéresse à certains comportements en lien avec la santé comme le tabagisme, les études familiales restent limitées dans leurs enseignements ou complexes à mener. Par exemple, des études familiales ont estimé l’héritabilité des conduites addictives entre 30 et 70%,[1] mais ces résultats sont vraisemblablement biaisés. En effet, ils ne prennent pas en compte tous les facteurs environnementaux partagés par les jumeaux, et s’affranchissent difficilement du fait que les parents biologiques et non-biologiques ne représentent pas la population générale dans les études d’enfants adoptés.

Génome entier

Récemment, les nouveaux outils génomiques ont révolutionné les études de l’héritabilité. Plusieurs grandes enquêtes et cohortes longitudinales disposent actuellement des données génétiques permettant de faire la recherche d’association entre gênes et phénotypes sur le génome entier (Genome-wide association study ou ‘GWAS’). Il s’agit de l’analyse de nombreuses variations génétiques chez de nombreux individus non apparentés afin d’identifier les marqueurs génétiques – des « SNPs » (polymorphismes d’un seul nucléotide) – associés à des traits phénotypiques. Pourtant, ces SNPs ne prédisent souvent qu’une très faible proportion  de la variation phénotypique. Par exemple, le prestigieux journal scientifique ‘Science’ a publié en 2013 les résultats d’un GWAS sur plus de 100 000 individus. Ils ont mis en évidence que 3 SNPs n’expliquent que 0,02% du niveau d’études des individus.[2] Cette très faible variation du niveau d’étude expliquée par la génétique a conduit certains chercheurs à parler d’une « missing heritability » (heritabilité [génetique] manquante);[3] rappelant (mais était-ce si inattendu ?) que tout ne s’explique pas – ou pas simplement – par la génétique, et encore moins par la variabilité de quelques nucléotides !

Une solution proposée à cette ‘missing heritability’ était de ne pas regarder les associations des SNPs individuellement mais, à partir des même données de GWAS, de décomposer un trait phénotypique observé en variance due aux gènes (SNPs additionnés) et variance due à l’environnement. La GCTA (analyse des traits complexes sur le génome entier, Genome-wide complex trait analysis) est une méthode statistique récemment développée et capable de faire ce type d’analyse.[4] Elle considère que l’effet additif de tous les SNPs dans le génome est un effet aléatoire et calcule la variance du phénotype attribuable à cet effet aléatoire.

En utilisant ce type d’analyse on a pu démontrer une plus grande « héritabilité » de certains comportements, bien plus importante que celles établies précédemment. Par exemple l’héritabilité estimée de certains comportements de santé comme le tabagisme et le fait de pratiquer un sport est chiffrée aux alentours de 20%,[5,6] et une étude récente a estimé l’héritabilité du niveau d’études à 31%.[7]

Mais de quelle héritabilité parle-t-on ?

Peut-on affirmer pour autant que nos gènes influencent directement notre niveau d’étude à la hauteur de 31% ? Non, et ceci pour plusieurs raisons. D’une part, les résultats observés pourront toujours être biaisés, notamment par la sélection des participants à ces études. D’autre part, la GCTA est limitée à la détection des effets ‘additifs’ des SNPs et ne détecte pas, ni n’estime, l’interaction gène-gène ou gène-environnement. Par ailleurs, les effets épigénétiques (mécanismes moléculaires, modifiables par des facteurs environnementaux, qui altèrent l’expression des gènes sans changement de leurs séquences d’ADN),[8] ne sont pas pris en compte ; or la recherche actuelle dans ce domaine tend à produire de plus en plus d’arguments selon lesquels l’épigénétique comprend des mécanismes plus importants – et adaptatifs – que l’expression génétique seule. Enfin, l’influence du patrimoine génétique sur le niveau d’étude ne peut évidemment pas être direct : faute de connaissances (ou d’hypothèses fondées) sur les chaines de causalité entre gène et réussite scolaire, les associations démontrées n’ont que très peu d’intérêt.

Même si les études d’héritabilité pourront jouer un rôle important dans l’étude de la santé et de ses déterminants dans le futur, de nouveaux types d’études et de nouvelles méthodes d’analyse (GCTA + analyses de médiation, équations structurelles, et étude de familles…) restent nécessaires pour tenter de comprendre l’influence des gènes sur les comportements qui sont souvent multifactoriels. En attendant, l’avalanche des « découvertes » d’association de ce type ne constituent qu’une toute première étape, sans grand sens en tant que telles, dans la longue voie de la recherche des déterminants des comportements et des maladies.

Références :

1       Agrawal A, Lynskey MT. Are there genetic influences on addiction: evidence from family, adoption and twin studies. Addiction 2008;103:1069–81. doi:10.1111/j.1360-0443.2008.02213.x

2       Rietveld CA, Medland SE, Derringer J, et al. GWAS of 126,559 Individuals Identifies Genetic Variants Associated with Educational Attainment. Science 2013;340:1467–71. doi:10.1126/science.1235488

3       Manolio TA, Collins FS, Cox NJ, et al. Finding the missing heritability of complex diseases. Nature 2009;461:747–53. doi:10.1038/nature08494

4       Yang J, Lee SH, Goddard ME, et al. GCTA: A Tool for Genome-wide Complex Trait Analysis. Am J Hum Genet 2011;88:76–82. doi:10.1016/j.ajhg.2010.11.011

5       Boardman JD, Blalock CL, Pampel FC, et al. Population Composition, Public Policy, and the Genetics of Smoking. Demography 2011;48:1517–33. doi:10.1007/s13524-011-0057-9

6       Bartels M, De Moor M, Van der Aa N, et al. Regular exercise, subjective wellbeing, and internalizing problems in adolescence: causality or genetic pleiotropy? Behav Psychiatr Genet 2012;3:4. doi:10.3389/fgene.2012.00004

7       Krapohl E, Plomin R. Genetic link between family socioeconomic status and children’s educational achievement estimated from genome-wide SNPs. Mol Psychiatry 2016;21:437–443.

8       Déborah Bourc’his-. Epigénétique. 2015.http://www.inserm.fr/index.php/thematiques/genetique-genomique-et-bioinformatique/dossiers-d-information/epigenetique (accessed 14 Nov2016).

Auteur : Fabienne El-Khoury Lesueur

Chercheuse postdoctorale dans l'équipe de recherche en épidémiologie sociale (ERES), ipleps, Inserm @Fabienne_ek

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