Cette présentation de travaux de recherche en sociologie s’articule autour de l’obésité infantile dans les départements Nord et Pas-De-Calais et de sa prise en charge par les politiques locales, les professionnels et les familles. Il s’agit prioritairement de poser le contexte dans lequel ces travaux s’inscrivent afin de comprendre qu’une épidémie, ici l’obésité, n’est pas moins un fait social et politique.
Contours d’une politique de l’obésité
On observe des inégalités sociales de santé dans tous les pays industrialisés, pour toutes les pathologies chroniques, et notamment celles directement liées à la nutrition telles que l’obésité, le diabète et le cancer. Qualifiée d’épidémie mondiale par l’OMS [1], l’obésité touche essentiellement les classes sociales les plus défavorisées des pays développés et ceux en voie de développement. Le concept d’environnement obésogène voit le jour, montrant l’influence de la société et des modes de vie dans le développement de l’obésité.
En France, les politiques s’emparent de ce phénomène et le Plan National Nutrition Santé (PNNS) est lancé par ARS [2] en 2001 avec pour objectif l’amélioration de l’état de santé de la population en agissant sur un déterminant majeur : la nutrition. Le programme est prolongé en 2006 (PNNS 2) puis en 2011 (PNNS 3). Il contient de nombreuses actions axées sur l’obésité et inclut des objectifs spécifiques pour les plus défavorisés. Le premier axe du PNNS 3 est d’ailleurs significatif : « Réduire par des actions spécifiques les inégalités sociales de santé dans le champ de la nutrition au sein d’actions générales de prévention ». Cet axe est repris dans son intégralité dans le Plan Obésité National (PO) [3].
Au-delà d’être un enjeu national, l’obésité relève d’une priorité pour le Nord et le Pas-de-Calais. Le sociologue Thibaut de Saint Pol affirme dans plusieurs travaux de recherches que le Nord est la zone géographique où la prévalence de l’obésité est la plus élevée : « En 2003, l’Est en compte 13 % et le Nord 14 % ; l’Île-de-France n’est qu’à 8 % » [4]. De même, le sociologue Pierre Aïach a montré que la mortalité extrêmement élevée du Nord-Pas-De-Calais « était le produit de très fortes inégalités sociales entre les catégories socioprofessionnelles, s’exprimant par des écarts relatifs de mortalité, par rapport à une même catégorie socioprofessionnelle en France, d’autant plus forts que l’on descend l’échelle sociale » [5].
Dans ce contexte d’une prévalence régionale élevée du surpoids et de l’obésité, l’ARS a décidé d’aller plus loin dans la lutte contre l’obésité et consacre un programme régional dédié à cette pathologie : le Programme Régional Obésité 2014-2018.
L’obésité, un marqueur social
L’obésité est un phénomène en accroissement, touchant inégalement les catégories sociales, les sexes et les zones géographiques.
L’effet du revenu est avéré dans de nombreux aspects de la consommation alimentaire auquel s’ajoute une incidence du niveau de formation générale. La corrélation la plus significative est celle entre la prévalence de l’obésité et le niveau de diplôme : « 15 % des individus sans diplôme ou ayant au plus un brevet des collèges sont obèses, tandis que seulement 5 % des diplômés du supérieur le sont. L’écart est de 10 points : il a doublé entre 1981 et 2003 » [6].
À cela s’ajoute une distinction liée au sexe. « La prévalence de l’obésité chez les ménages les plus modestes (premier quartile) est de 10 % pour les hommes et de 13 % pour les femmes, alors qu’elle est respectivement de 9 et 6 % chez les plus aisés (dernier quartile). La différence observée vaut donc surtout pour la population féminine » [7].
La consommation alimentaire est corrélée au budget des ménages et aux contraintes des conditions sociales d’existence – comme les horaires de travail – et aussi aux habitudes de classe sociale relatives à la perception des aliments et du corps. On peut par exemple citer les travaux des sociologues Régnier Faustine et Masullo Ana [8] qui évoquent quatre formes différentes de réception des normes de corpulence et alimentaires pour les familles. Les catégories supérieures s’approprient les normes, les catégories intermédiaires intégrées et modestes en ascension sont dans un processus d’hyper adhésion, les catégories modestes et populaires critiquent ces normes et les familles les plus précaires sont indifférentes.
Différenciation sociale des consommations alimentaires et du rapport au corps : des raisons qui font de l’obésité un véritable « marqueur social ».
Approche pluridisciplinaire de l’obésité
Les quelques résultats évoqués ci-dessous sont fondés sur des entretiens réalisés auprès de différents professionnels de santé (infirmière scolaire, endocrinologue, pédiatre, nutritionniste etc.) dans le cadre de mon travail de thèse. L’accroissement de l’obésité et la complexité de sa prévention et de sa prise en charge du fait de ses déterminants multiples conduisent au cours des années 2000 aux premières réflexions pluridisciplinaires. À travers les entretiens menés avec les professionnels de santé, on peut noter que la pluridisciplinarité est un élément abordé systématiquement et constitue une technique de prise en charge commune aux établissements de soin. Chaque professionnel met plus ou moins en évidence la nécessité d’une approche plurifactorielle de l’obésité : approche environnementale, socioculturelle, psychologique et médicale. De plus, nous constatons qu’ils s’accordent à définir la santé comme elle est décrite par l’OMS : « un état complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition de la santé implique que tous les besoins fondamentaux de la personne soient satisfaits, qu’ils soient affectifs, sanitaires, nutritionnels, sociaux ou culturels. La question des inégalités de santé ne s’attarde donc pas uniquement à la santé physique, il est important de prendre en compte le contexte social, économique et culturel de l’enfant en situation d’obésité et de sa famille. Les professionnels de la santé s’accordent à dire que la santé ne représente pas forcément un élément primordial chez ces familles qui ont d’autres problématiques qui gravitent autour et sur lesquelles il faut agir en parallèle.
Article écrit par Charlène Letoux, doctorante en sociologie sous la direction de Catherine Déchamp-Le Roux au sein du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé, UMR 8019) - Université de Lille, École Doctorale 73 (Sciences économiques, sociales, de l'aménagement et du management, SESAM). Son travail de thèse vise à contribuer à l'analyse des parcours de vie, à une sociologie de l’alimentation qui existe depuis longtemps mais dont le véritable épanouissement n’est que très récent, et à une sociologie du corps qui se développe depuis une trentaine d’années. Le but est de parvenir à une meilleure compréhension des inégalités sociales et de mettre en lumière les aspects qui freinent l'impact des actions locales sur les familles de classes populaires ayant un enfant en situation d'obésité. Sur le modèle des Fat Studies qui prennent leur essor aux USA depuis une dizaine d’années, il s’agit de prendre la corpulence comme une nouvelle variable permettant d’analyser à la fois les discours, les pratiques et l’organisation sociale sous un angle sociologique novateur.
Références
[1] OMS : Organisation Mondiale de la Santé.
[2] ARS : Agence Régionale de Santé. Il faut noter que depuis le 1er janvier 2016, les ARS du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie ont fusionné pour ne former qu’une seule Agence, l’ARS Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
[3] Plan Obésité National (PO) 2010-2013. Le PO réunit en un ensemble coordonné une série de mesures et d’actions dont certaines sont inscrites dans d’autres plans ou initiatives. L’articulation du Plan obésité avec le Programme national nutrition santé (PNNS 2011 – 2015) et le Programme national pour l’alimentation (PNA), ainsi qu’avec le Plan national santé environnement (PNSE), le Plan national alimentation insertion (PAI) et le Plan santé à l’école (PSE).
[4] Thibault De Saint Pol, « L’obésité en France : les écarts entre catégories sociales s’accroissent », Insee Première, n°1123, Février 2007, p.2.
[5] Pierre Aïach, « Processus cumulatif d’inégalités : effet d’amplification et disposition à l’appropriation sociale », Santé, Société et Solidarité, Inégalités sociales de santé, n°2, 2004, p.39-47.
[6] Thibault De Saint Pol, « L’obésité en France : les écarts entre catégories sociales s’accroissent », Insee Première, n°1123, Février 2007, p.3.
[7] Ibid.
[8] Faustine Régnier, et Ana Masullo, « Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale », Revue française de sociologie, n°50, 2009, p.747-773.