Les femmes sans domicile qui n’ont pas de suivi gynécologique sont deux fois plus nombreuses que les femmes qui ont un suivi à ne pas effectuer de dépistage du cancer du col de l’utérus. Améliorer leur accès à un suivi gynécologique permettrait d’augmenter la couverture de dépistage dans cette population à très haut risque de ce cancer. Des actions locales et nationales doivent être développées afin de garantir un suivi gynécologique régulier à toutes les femmes et ainsi de réduire l’absence et le retard de dépistage.
Le cancer du col de l’utérus en France
Le cancer du col de l’utérus est moins fréquent que le cancer du sein avec 3028 nouveaux cas par an, le plaçant au 11ème rang des cancers chez la femme [1]. La mortalité du cancer du col de l’utérus est estimée à environ 1000 cas en France en 2012, soit le 12ème cancer le plus meurtrier. La mise en place des dépistages des cancers féminins a fortement diminué l’incidence et la mortalité de ces deux cancers. En cas de dépistage précoce, le pronostic est bon avec un traitement et un suivi approprié [2].
Le dépistage du cancer du col de l’utérus
Il existe deux outils de prévention du cancer du col de l’utérus : la vaccination des jeunes filles contre certaines formes du virus Human Papillomavirus (prévention primaire), et le dépistage des lésions précancéreuses (prévention secondaire) qui reste indispensable, même chez les femmes vaccinées. La technique de dépistage la plus répandue est le frottis cervico-utérin. En France, le dépistage du cancer du col de l’utérus reste individuel (à l’initiative du médecin ou du patient, sur prescription médicale), même si sa généralisation est un des objectifs prioritaires de l’Institut national du cancer (INCa) et sera lancée fin 2017. Selon les recommandations actuelles de la Haute Autorité de Santé (HAS), le frottis doit être pratiqué chez les femmes âgées de 25 à 65 ans, tous les 3 ans après deux frottis normaux pratiqués à un an d’intervalle [3]. En cas de résultat anormal, des examens complémentaires sont effectués et les frottis doivent être répétés plus régulièrement. Le frottis peut être pratiqué par un.e gynécologue, un.e sage-femme, ou un.e médecin généraliste.
Bien que ces techniques de dépistage aient permis une diminution de l’incidence et de la mortalité par cancer du col de l’utérus, cette baisse est limitée à cause de la persistance de formes graves de cancer observées majoritairement chez les femmes n’ayant pas bénéficié d’un dépistage [4,5].
Les inégalités sociales d’accès au dépistage du cancer du col de l’utérus.
En plus de l’existence d’inégalités territoriales de l’offre de soins, de la diminution du nombre de gynécologues, et de la faible implication des médecins généralistes dans les campagnes de prévention, des études ont montré qu’il existe des inégalités sociales d’accès à différentes formes de dépistage en Île-de-France [6]. En effet les femmes se trouvant dans des situations socio-économiques dites défavorisées (qui par exemple, ont de faibles niveaux d’études, de faibles revenus, en situation de chômage, sans soutien social), ont moins accès au dépistage que les femmes qui se trouvent dans situations plus favorisées [7,8].
L’absence de domicile est une des formes de pauvreté et d’exclusion sociale les plus extrêmes. Les femmes sans logement cumulent donc plusieurs facteurs de risque de non-participation aux dépistages. Peu documenté en France, un corpus de recherches menées principalement aux Etats-Unis indique que malgré un état de santé alarmant, les femmes sans domicile rencontrent de nombreuses barrières à l’accès aux soins, notamment aux soins gynécologiques.
En plus des barrières dans l’accès au dépistage, les femmes en situation de précarité et/ou sans-domicile présentent aussi un risque plus élevé de ne pas être suivies après un frottis anormal et donc un risque plus élevé de développer un cancer [9]. Pour exemple, une étude américaine montre que 13% des cancers invasifs du col de l’utérus sont attribuables à un manque ou à un mauvais suivi après un résultat anormal de frottis [10].
Des chercheurs de l’équipe ERES ont étudié le recours au dépistage du cancer du col de l’utérus des femmes sans logement personnel, hébergées en Île-de-France à partir d’une enquête réalisée par l’Observatoire du Samusocial de Paris, ENFAMS (Enfants et familles sans logement) [14]. L’enquête ENFAMS a interrogé 801 familles sans logement personnel hébergées en Île-de-France durant l’hiver 2013 [15].
Parmi les femmes sans logement âgées de 25 à 57 ans ayant participé à l’enquête ENFAMS, 58% n’avaient jamais effectué de dépistage du cancer du col de l’utérus. Ces résultats révèlent que la couverture de dépistage des cancers féminins des femmes sans-domicile est bien plus faible qu’en population générale Francilienne dans laquelle seulement 8% des femmes étaient non dépistées.

Comment diminuer les inégalités sociales d’accès au dépistage du cancer du col de l’utérus ?
Ces travaux ont aussi souligné l’importance du suivi gynécologique régulier dans l’accès au dépistage des cancers féminins – constat retrouvé dans les études françaises en population générale [11], avec deux fois plus de femmes dépistées lorsqu’elles avaient un suivi que lorsqu’elles n’avaient pas de suivi gynécologique. Ces résultats viennent ainsi renforcer l’idée qu’améliorer l’accès au suivi gynécologique est probablement le meilleur moyen d’augmenter la couverture de dépistage.
Les facteurs associés à l’absence de dépistage étaient différents selon que les femmes avaient un suivi gynécologique régulier ou non. Chez les femmes sans suivi gynécologique régulier, les facteurs associés à l’absence de dépistage étaient : avoir un faible niveau d’études, avoir vécu en France moins d’un quart de sa et être sans-domicile depuis moins de deux ans, ne pas avoir consulté de médecin dans l’année, ne pas avoir été invitée par un ami ou de la famille à une cérémonie et ne jamais avoir accouché en France. Chez les femmes ayant un suivi gynécologique régulier, les facteurs significativement liés à l’absence de dépistage étaient le fait de ne pas être citoyen français, d’avoir eu une histoire de consommation excessive d’alcool, de ne pas avoir de couverture maladie, de ne pas avoir consulté de médecin dans l’année, de ne jamais avoir réaliser de dépistage du cancer du sein, de ne pas avoir confiance en quelqu’un, d’avoir des difficultés en Français, et de déclarer avoir une mauvaise ou très mauvaise santé psychologique et émotionnelle.
L’étude montre aussi que l’accès au suivi gynécologique est inégal : les femmes sans suivi avaient un niveau d’études plus faible, plus de difficultés en français, étaient plus nombreuses à ne pas avoir de couverture maladie et avaient été plus souvent victime d’agression physique ou sexuelle que les femmes qui avaient un suivi gynécologique. Ces résultats mettent en évidence des inégalités d’accès au suivi gynécologique et témoignent de l’absence de prise en charge pour les femmes les plus en difficulté (barrière de la langue, conditions de vie plus difficiles).
La mise en place du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus auprès des femmes en grande précarité a été proposée pour réduire les inégalités sociales dans ce domaine [5]. Il a été montré que cette approche, accompagnée de relance (par courrier par exemple) peut être efficace. Cependant, les personnes sans logement ne sont pas automatiquement domiciliées en mairie ou chez un tiers : elles ne pourront donc pas être atteintes par le dépistage organisé – ni par le système de relance, ni par les propositions d’auto-test à domicile. De plus, des études ont montré que du fait de leur précarité, toute relation institutionnelle peut-être vécue sur le mode de l’exclusion et que ce type d’invitation impersonnelle ne fonctionne pas auprès de femmes précarisées [14].
Ainsi, les acteurs de santé « proches » doivent être impliqués dans la prévention et le dépistage du cancer du col et des actions locales développées. Il faut garantir à ces femmes un suivi gynécologique régulier en mobilisant – dans leur territoire – les acteurs de santé primaire qui s’y trouvent : médecine libérale, PASS hospitalières, centres de santé, équipes mobiles (voir ci-dessous l’expérience du Bus Espace Enfants Parents) etc. Ceci nécessite d’ailleurs que ces acteurs connaissent et soient soucieux du sort des femmes sans logement hébergées sur leur territoire. Or, ces femmes sont sans doute trop souvent considérées comme « de passage », en transit, c’est-à-dire comme ne faisant pas partie des habitants « réguliers ».
Références
- Binder-Foucard F, Belot A, Delafosse P, Remontet L, Woronoff A-S, Bossard N. Estimation nationale de l’incidence et de la mortalité par cancer en France entre 1980 et 2012. Partie 1 – Tumeurs solides. Institut de veille sanitaire; 2013 p. 122.
- INCa. Les cancers en France, Edition 2015. 2016.
- Haute Autorité de Santé. État des lieux et recommandations pour le dépistage du cancer du col de l’utérus en France – Argumentaire [Internet]. HAS; 2010. Disponible sur: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-11/argumentaire_recommandations_depistage_cancer_du_col_de_luterus.pdf
- INCa. Généralisation du dépistage du cancer du col de l’utérus /Étude médico-économique /Phase 1 [Internet]. 2015. Disponible sur: http://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Generalisation-du-depistage-du-cancer-du-col-de-l-uterus-etude-medico-economique-Phase-1
- Burton-Jeangros C, Cullati S, Manor O, Courvoisier DS, Bouchardy C, Guessous I. Cervical cancer screening in Switzerland: cross-sectional trends (1992-2012) in social inequalities. Eur. J. Public Health. 2017;27:167‑73.
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- Observatoire du Samusocial. Enfams- Enfants et familles sans logement en Ile-de-France. Paris: Observatoire du Samu Social; 2014 p. 442.
- Piana L, Leandri F-X, Jacqueme B, Heid P, Corti J, Andrac-Meyer L, et al. Le dépistage organisé des cancers du col utérin pour les femmes en situation médicosociale défavorisée. Bull. Cancer (Paris). 2007;94:461‑7.
- Cambon L, Mangin G, Barthélémy L. Expérimentation d’une démarche participative sur le dépistage des cancers auprès de femmes en situation de précarité. Santé Publique. 2008;19:513‑23.
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