Des conditions socio-économiques défavorables semblent réduire l’espérance de vie

Avoir une condition socio-économique défavorable, comme par exemple un faible statut socio-économique, pourrait diminuer l’espérance de vie des personnes – âgées entre 40 et 85 ans – de 2,1 années en moyenne comparées à celles ayant un statut socio-économique élevé.

C’est l’une des conclusions de l’étude menée par le Dr. Silvia Stringhini et ses collègues [1], publiée en Janvier dernier dans la revue scientifique britannique The Lancet, qui s’inscrit au sein du projet européen Lifepath qui a pour but général d’étudier la relation entre les disparités sociales et le vieillissement en bonne santé, afin de mettre au point de futures politiques et stratégies de santé.

Cette étude est la première à comparer la contribution du statut socio-économique à la mortalité avec celles de facteurs de risque majeurs que sont l’usage nocif d’alcool, la sédentarité, le tabagisme, la pression artérielle élevée, le diabète et l’obésité. Ces facteurs de risque sont les principales cibles du « plan d’action mondial pour la prévention et le contrôle des maladies non transmissibles 2013-2020 » de l’Organisation Mondiale de la Santé [2] qui a pour but de réduire de 25 % le risque de décès prématuré imputable aux maladies cardio-vasculaires, au diabète, au cancer ou aux affections respiratoires chroniques d’ici 2025.

« L’éducation, le revenu et le travail sont connus pour affecter la santé, mais peu d’études ont examiné l’importance que ces facteurs de risques socio-économiques ont réellement. C’est pourquoi nous avons décidé de comparer l’importance des facteurs socio-économiques comme déterminants de la santé avec les six principaux facteurs de risque ciblés dans les stratégies mondiales de santé » rapporte Mika Kivimaki, professeur à l’University College London, et l’un des deux principaux auteurs de l’étude.

Pour mener à bien cette étude, les chercheurs du projet Lifepath ont analysé les données de 48 cohortes rassemblant plus de 1,7 millions de personnes, suivies pendant en moyenne 13 années et vivant au Royaume-Uni, en France, en Suisse, au Portugal, en Italie, aux Etat-Unis et en Australie.

Les résultats ont montré qu’avoir un statut socio-économique faible augmentait le risque de décès prématuré de 26% comparé à un statut socio-économique élevé. Plus précisément, le risque de décès prématuré par maladie cardio-vasculaire, par cancer et autres causes était respectivement augmenté de 29%, 26% et 25%. L’association entre un statut socio-économique faible et une mortalité prématurée était du même ordre de grandeur selon les différentes causes de décès, alors que les six autres facteurs étaient généralement plus fortement associés à une mortalité cardiovasculaire prématurée.

Cette étude a également estimé qu’un statut socio-économique faible est associé à une réduction de 2,1 années en moyenne de l’espérance de vie entre 40 et 85 ans, alors que le nombre d’années de vie perdues associé aux facteurs de risques « conventionnels » était de 0,5 pour une consommation élevée d’alcool, de 0,7 pour l’obésité, de 1,6 pour l’hypertension, de 2,4 pour l’inactivité physique, de 3,9 pour le diabète et de 4,8 pour le tabagisme. Ces chiffres placent les conditions socio-économiques défavorables au même niveau que la sédentarité et derrière les deux facteurs de risque ayant enregistrés les plus fortes réductions d’espérance de vie que sont le tabagisme et le diabète.

« Nous avons été surpris de constater que les conditions sociales et économiques défavorables semblent « tuer » les personnes au même titre que de puissants facteurs de risque tels que le tabagisme, l’obésité et l’hypertension. Dans la mesure où ces conditions sont modifiables, elles devraient être incluses dans la liste des facteurs de risques ciblés par les stratégies mondiales de la santé » indique Silvia Stringhini, chercheur à l’Institut Universitaire de Médecine Sociale et Préventive de Lausanne, principale auteur de l’étude.

Bien que le statut socio-économique soit considéré comme l’un des plus importants facteurs prédictifs de morbidité et de mortalité prématurée dans le monde [3-7], les conditions socio-économiques défavorables sont encore trop peu souvent considérées comme facteur de risque modifiable dans les stratégies globales mises en place en matière de santé. Ces conditions et leurs conséquences peuvent être améliorées par des politiques aux niveaux local, national et international [8, 9]. Modifier les facteurs « en amont » comme par exemple les crédits d’impôts sur le revenu, l’emploi ou l’éducation [10-12] est plus susceptible d’avoir un impact que les interventions mises en place « en aval » telles que l’aide à l’arrêt du tabac ou les conseils diététiques. En effet, se concentrer uniquement sur les facteurs « en aval » favorise les personnes privilégiées, qui peuvent plus facilement changer leurs comportements [13].

« Le statut socio-économique est important parce qu’il est une mesure résumée de l’exposition à des conditions et des comportements au cours de la vie qui vont au-delà des facteurs de risque des maladies non transmissibles que les politiques traitent habituellement » souligne Paolo Vineis, professeur à l’Imperial College London et coordinateur du projet Lifepath.

Cette étude insiste donc sur la place centrale que tiennent les conditions socio-économiques défavorables dans les facteurs de risque de morbidité et de mortalité et incite fortement leur inclusion systématique dans les politiques mondiales de santé.

 

Références

  1. Stringhini S, Carmeli C, Jokela M, Avendaño M, et al. Socioeconomic status and the 25 × 25 risk factors as determinants of premature mortality: a multicohort study and meta-analysis of 1·7 million men and women. Lancet 2017; 389: 1229-37.
  2. Global action plan for the prevention and control of noncommunicable diseases 2013–2020. World Health Organization, Geneva, Switzerland; 2013.
  3. Marmot, MG, Shipley, MJ, and Rose, G. Inequalities in death—specific explanations of a general pattern?. Lancet. 1984; 1: 1003–1006.
  4. Mackenbach, JP, Stirbu, I, Roskam, AJ et al. Socioeconomic inequalities in health in 22 European countries. N Engl J Med. 2008; 358: 2468–2481.
  5. Chetty, R, Stepner, M, Abraham, S et al. The Association between income and life expectancy in the United States, 2001–2014. JAMA. 2016; 315: 1750–1766.
  6. Stringhini, S, Dugravot, A, Shipley, M et al. Health behaviours, socioeconomic status, and mortality: further analyses of the British Whitehall II and the French GAZEL prospective cohorts. PLoS Med. 2011; 8: e1000419.
  7. Mayhew, L and Smith, D. An investigation into inequalities in adult lifespan. Cass Business School, City University London, London, UK; 2016.
  8. Commission for the Social Determinants of Health. Closing the gap in a generation: health equity through action on the social determinants of health. Final Report of the Commission on Social Determinants of Health. World Health Organization, Geneva; 2008.
  9. Marmot, MG, Atkinson, T, Bell, J et al. Fair society, healthy lives: a strategic review of health inequalities in England post-2010: The Marmot Review. UCL Institute, London; 2010.
  10. Levin, H, Belfield, C, Muennig, P, and Rouse, C. The costs and benefits of an excellent education for America’s children. Teachers College, New York, NY; 2006.
  11. Elesh, D and Lefcowitz, MJ. The effects of the New Jersey-Pennsylvania Negative Income Tax Experiment on health and health care utilization. J Health Soc Behav. 1977; 18: 391–405.
  12. Muennig, PA, Mohit, B, Wu, J, Jia, H, and Rosen, Z. Cost effectiveness of the earned income tax credit as a health policy investment. Am J Prev Med. 2016.
  13. Stringhini S, Sabia S, Shipley M, Brunner E, Nabi H, Kivimaki M, Singh-Manoux A. Association of Socioeconomic Position With Health Behaviors and Mortality. JAMA. 2010;303(12):1159-1166.

Auteur : Marine Azevedo Da Silva

Chercheuse postdoctorale en épidémiologie sociale. Mes recherches actuelles portent sur l'impact des politiques et de l'environnement social sur la santé mentale et l'utilisation de substances chez les adolescents.

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