Les causes de décès des personnes sans-domicile en France

Chaque hiver, la situation des personnes sans-domicile mobilise l’opinion publique à cause des températures basses. Pourtant, le froid n’est pas la première cause de mortalité des personnes sans-domicile. Nous discutons ici les résultats d’une étude du CépiDc-Inserm sur la mortalité des sans-domicile.

L’absence de logement constitue à lui seul un facteur de risque de mortalité précoce (avant 65 ans) [1]. Des études, principalement nord-américaines, indiquent, depuis les années 1980, un taux de mortalité entre 2 à 13 fois supérieur chez les sans-domicile par rapport à la population générale. Les causes de décès identifiées dans ces études différent d’une étude à l’autre mais les maladies cardio-vasculaires, les morts accidentelles, les homicides et les suicides sont fréquemment désignés comme causes principales.

En France, le CépiDc-Inserm (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) a conduit pour la première fois une étude visant à décrire la mortalité au sein des personnes sans-domicile [2,3] à partir des données collectées par le Collectif Les Morts de la Rue entre 2008 et 2010.

Une mortalité hivernale semblable à celle en population générale

Sur la période étudiée (2008-2010), cette étude montrait que la mortalité des personnes sans-domicile était légèrement plus élevée en hiver (30%) et à l’automne (28%) qu’au printemps (22%) et qu’en été (20%) [i].

Cependant ce constat était le même qu’en population générale avec respectivement en hiver, printemps, été, automne, les proportions suivantes : 28%, 24%, 23% et 25%.

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Cette étude indiquait également que la différence de mortalité selon la saison dépendait du lieu de décès chez les personnes sans-domicile :

  • pour les décès survenus à l’hôpital : il n’y avait pas de hausse de la mortalité en hiver.
  • pour les décès survenus dans un lieu public ou dans un logement : il y avait une mortalité plus importante en automne et en hiver.

Pour autant, cette différence ne serait (au moins en partie) que le reflet de l’intensification de la remontée d’information : il y aurait davantage de décès de personnes sans-domicile rapportés en hiver pour les décès survenus dans l’espace publique. C’est ce que Julien Damon appelait le « cycle de compassion hivernale » : à chaque hiver on assiste à une augmentation de la mobilisation médiatique à l’égard des personnes sans-domicile [4].

Les morts violentes constituent la principale cause de décès

Les causes principales de décès estimées sur cette période étaient les morts violentes (29%), les cancers (21%), les maladies cardio-vasculaires (14%), les troubles du comportement et de la santé mentale (10%), les maladies du système digestif (8%), les maladies du système respiratoires (3%), les maladies du système nerveux (3%), et les maladies infectieuses ou parasitaires (2%) tandis que 5% des causes de décès étaient mal définies ou inconnues.

Les causes de décès des personnes sans-domicile dans cette étude française étaient différentes de celles des études nord-américaines : les décès par cancer y étaient plus fréquents tandis que les homicides et les suicides étaient beaucoup plus fréquents en Amérique du Nord. Ces différences étaient certainement tributaires du contexte social de chaque pays (violences, port d’arme autorisé aux Etats-Unis).

Les décès liés aux troubles mentaux et aux troubles du comportement étaient plus élevés chez les personnes sans-domicile qu’en population générale. Ce résultat fait résonnance à ceux de l’étude SAMENTA – étude sur la santé mentale des personnes sans-domicile en Île-de-France [5], qui avait montré qu’un tiers de cette population souffrait de troubles psychiatriques.

Enfin, ce travail a montré que, bien que la proportion des décès liés au froid chez les sans-domicile soit 6,4 fois plus élevée qu’en population générale, elle n’était que de 4%. Ce résultat est semblable à ceux des études américaines sur la mortalité liée à l’hypothermie .

Une mobilisation politique trop exclusivement hivernale

La mobilisation des décideurs politiques est encore trop axée sur la saison hivernale. Par exemple, on peut le lire sur le site du Ministère de la cohésion du territoire (ministère du logement), que depuis le 1er novembre 2017 et jusqu’au 31 mars, un plan hivernal a été mis en place[ii]. Pourtant, les problèmes de santé des personnes sans domicile ne s’arrêtent pas, eux, au 31 mars. Même si le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 2013-2017 avait recommandé pour 2016-2017 la pérennisation de quelques places d’hébergement (2300) à la fin de la trêve hivernale, c’est bien tout au long de l’année que ces personnes doivent être mises à l’abri [7].

Références

  1. Feodor Nilsson S, Laursen TM, Hjorthøj C, Nordentoft M. Homelessness as a predictor of mortality: an 11-year register-based cohort study. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 9 nov 2017;
  2. Vuillermoz C, Aouba A, Grout L, Vandentorren S, Tassin F, Moreno-Betancur M, et al. Mortality among homeless people in France, 2008-10. Eur J Public Health. 2016;26(6):1028‑33.
  3. Vuillermoz C, Aouba A, Grout L, Vandentorren S, Tassin F, Vazifeh L, et al. Estimating the number of homeless deaths in France, 2008–2010. BMC Public Health. 2014;14(1):690.
  4. Damon J. La question sdf au prisme des médias. Espac Sociétés. 2004;(116‑117):93‑110.
  5. Laporte A, Le Méner E, Détrez M, Douay C, Le Strat Y, Vandentorren S. La santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel en Île-de-France : l’enquête Samenta de 2009. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(36‑37):693‑7.
  6. Henwood BF, Byrne T, Scriber B. Examining mortality among formerly homeless adults enrolled in Housing First: An observational study. BMC Public Health. 4 déc 2015;15:1209.
  7. CNLE. Dossier de Presse. Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. [Internet]. 2016. Disponible sur: http://www.cnle.gouv.fr/plan-pluriannuel-contre-la.html

[i] Nous n’avons pas stratifié ces analyses selon le sexe car les personnes décédées étaient très majoritairement de sexe masculin (92%).

[ii] http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/le-gouvernement-reunit-les-associations-en-preparation-de-la-periode-hivernale-2017-2018

Auteur : Cécile Vuillermoz

Post-doctorante en épidémiologie, je travaille sur l'impact des attentats de janvier 2015 sur la santé mentale et les relations sociales des civils. Durant mon doctorat, j'ai étudié l'état de santé et l'absence de recours aux soins des femmes sans logement à partir de l'enquête ENFAMS (Enfants et Familles sans logement).

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