Malgré une amélioration générale de l’état de santé des populations, les individus ne demeurent pas égaux devant la mort et la maladie. Des inégalités de santé existent entre différentes catégories sociales et tendent à s’accroître. Depuis quelques années, les expositions environnementales sont rapportées comme facteurs susceptibles d’expliquer une partie des inégalités sociales de santé suivant deux mécanismes :
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un différentiel d’exposition : les populations socialement défavorisées seraient plus exposées à certains polluants et/ou à un nombre de polluants plus importants car les sources de pollution ne seraient pas équitablement réparties sur le territoire, et/ou,
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un différentiel de vulnérabilité : les populations défavorisées seraient plus fragiles et plus vulnérables aux nuisances environnementales à cause de leur condition de vie. Ainsi, à niveau d’exposition identique, les populations plus défavorisées (ou résidant dans des quartiers plus défavorisés) auraient des effets sanitaires plus fréquents, voire plus graves.
C’est précisément dans ce contexte, que la question de la contribution des expositions environnementales aux inégalités sociales de santé s’est posée et constitue depuis plusieurs années un enjeu majeur de santé publique.
Un différentiel d’exposition qui prend une forme différente selon l’histoire de l’aménagement du territoire concerné
L’existence des inégalités environnementales est documentée depuis très longtemps aux Etats-Unis ; ces études, dîtes de « justice environnementale », visaient initialement à révéler que les populations afro-américaines subissaient des nuisances environnementales auxquelles elles ne pouvaient se soustraire faute de ressources suffisantes (1, 2). L’étude et l’analyse de ces inégalités s’est progressivement étendue à l’Europe dans les années 2000 (3-7).
Alors que la majorité des études américaines démontrent que les populations les plus défavorisées se retrouvent en situation de proximité ou d’exposition avec des agents physiques dangereux ou potentiellement dangereux, en Europe, les résultats sont davantage controversés. En effet, alors que certaines études rapportent que les populations à faible statut socio-économique sont plus exposées aux polluants atmosphériques (8, 9), d’autres conduites dans de grandes agglomérations marquées par un intense trafic automobile comme Rome, trouvent des résultats inverses (10).
Les inégalités environnementales dans des métropoles urbaines Françaises ; Quelques résultats de « Equit’Area »
A partir des résultats obtenus dans le programme de recherche Equit’Area, trois profils différents d’inégalités se dégagent : alors que dans l’agglomération de Lille, les concentrations moyennes du dioxyde d’azote (le NO2) croissent depuis les IRIS (Ilôt regroupés pour l’information statistique, une échelle géographique infra-communale) les plus favorisés aux plus défavorisés, l’inverse est observé à Paris et ses départements limitrophes. Dans l’agglomération de Lyon, ce sont les IRIS en situation socio-économique intermédiaire qui présentent les concentrations moyennes en NO2 les plus élevées. Ces résultats contrastés selon les caractéristiques du tissu urbain et industriel sont cohérents avec ceux rapportés dans la littérature européenne (8-10).
La situation de Paris est comparable à celle décrite à Rome avec un gradient inverse observé entre le niveau de défaveur socioéconomique et celui de la pollution atmosphérique (et aussi d’autres expositions environnementales comme les nuisances sonores). Les changements opérés à Paris depuis la Révolution peuvent en partie expliquer ce résultat. En effet, à cette époque, la population résidant à Paris est socialement mixée ; ouvriers et artisans habitant à proximité de la bourgeoisie et de l’aristocratie. L’explosion démographique pendant la révolution industrielle et la politique urbaine conduite par le Baron Hausmann vient bouleverser cet équilibre. La classe ouvrière émergente est contrainte d’aller vivre dans les « faubourgs » de l’Est et du Nord, puis, plus loin au voisinage des nouvelles usines de sa périphérie. Le profil de la population résidant dans la ville de Paris a profondément changé ; elle accueille aujourd’hui principalement des actifs du secteur tertiaire alors que la région parisienne comptait encore, dans les années 70, 40% d’emplois dans le secteur de l’industrie.
C’est l’histoire industrielle basée sur l’exploitation du charbon et de l’acier qui peut expliquer le résultat obtenu dans l’agglomération de Lille. Même si aujourd’hui, suite à la fermeture de nombreuses industries, cette agglomération s’est tournée progressivement vers le secteur du tertiaire, certaines zones de ce territoire plus modeste socioéconomiquement restent proches des voies à forts trafic routier. Les monts et les vallées situés principalement à l’ouest de la Saône et du Rhône ont conduit l’agglomération à se développer vers l’Est où le prix du foncier était, de plus, moins élevé. Les populations les plus favorisées se sont installées à l’Ouest de l’agglomération dans des espaces plus verdoyants, alors que les populations de classes socioéconomiques intermédiaires sont concentrées dans le centre-ville près des larges voies de circulation.
Les populations résidant dans les quartiers les plus défavorisés ont des effets sanitaires plus fréquents
Clairement, le différentiel d’exposition, seul, ou bien le différentiel de vulnérabilité, seul, ne peut expliquer les résultats révélés dans la littérature épidémiologique internationale, et en France en particulier. En effet, les travaux conduits au Canada (11), en Norvège (12), au Brésil (13) ou aux Etats-Unis ont révélé que le statut socio-économique modifiait la sensibilité de la population face aux effets de la pollution, avec des problèmes de santé plus fréquents dans des populations résidant dans les quartiers les plus défavorisés même s’ils ne sont pas plus exposés à la pollution (14). Martins et al. (2004) montrent que prendre en compte le statut socioéconomique réduit la relation entre l’exposition aux particules et la mortalité (13). Krewski et al. (2003) démontrent que le risque sanitaire en lien avec l’exposition aux particules inférieur à 2,5µm est plus élevé pour les populations avec un faible niveau d’éducation que pour ceux avec un niveau d’éducation élevé (15). L’étude conduite à Rome a démontré quant à elle, que, alors que les populations issues des classes défavorisées ne résident pas dans les quartiers les plus exposés à la pollution de l’air, elles rencontrent des problèmes de santé plus fréquemment (10).
En France, l’étude Equit’Area conduite sur la ville de Paris (16), illustrent bien comment la combinaison de l’exposition à la pollution de l’air et la défaveur socioéconomique augmentent l’excès de risque de mortalité toutes causes. En effet, alors que l’excès de risque (ER) de mortalité toutes-causes s’accroît avec l’augmentation de l’exposition aux NO2 les quelques jours précédents le décès (augmentation de 10mg/m3) (ER=0,94% (95%CI = [0,08;1,80]; p = 0,03), cette estimation est multipliée par 3 pour les populations résidant dans les quartiers parisiens les plus défavorisés : (ER = 3,14%; 95%CI = [1,41, 4,90]). Ce risque de mortalité s’élève encore un peu plus lorsqu’il s’agit des populations résidant dans les quartiers défavorisés et cumulant également des concentrations importantes en NO2 toute l’année (>55,8 mg/m3) : (ER = 4,84%; 95%CI = [1,56; 8,24]). En effet, les populations résidant dans les quartiers socioéconomiquement défavorisés cumuleraient davantage de facteurs de risque (tabac, alcool…), souffriraient d’un accès ou un recours moindre aux soins et seraient fragilisées par des maladies chroniques plus fréquentes. Ces différents facteurs en se combinant aux nuisances environnementales augmenteraient le risque de mortalité.
Comprendre le territoire pour proposer des pistes d’actions visant à lutter contre les inégalités sociales de santé
Une variabilité importante de la répartition des catégories sociales au sein d’un territoire est constatée quelle que soit l’échelle géographique considérée : régionale, départementale, communale ou à l’échelle fine du quartier. L’implantation différentielle des populations selon leur profil socio-économique résulte de processus complexes qui ont contribué au façonnage des territoires. La caractérisation et la typologie des quartiers en site urbain et rural deviennent ainsi un enjeu primordial pour identifier (surveillance) et comprendre (recherche) les inégalités sociales de santé. Analyser comment un territoire se construit au court du temps pourrait constituer une voie prometteuse de recherche pour enrichir les connaissances concernant les mécanismes contribuant aux inégalités territoriales de santé, et ainsi proposer des pistes d’actions visant à lutter contre ces inégalités.
Bibliographie
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15 – Krewski D, Burnett RT, Goldberg MS, Hoover BK, Siemiatycki J, Jerrett M, et al. Overview of the reanalysis of the Harvard Six Cities Study and American Cancer Society Study of Particulate Air Pollution and Mortality. J Toxicol Environ Health A. 2003 Oct 22;66(16-19):1507–51.
16 – Deguen S, Petit C, Delbarre A, Kihal W, Padilla C, Benmarhnia T, Lapostolle A, Chauvin P, Zmirou-Navier D. Neighbourhood Characteristics and Long-Term Air Pollution Levels Modify the Association between the Short-Term Nitrogen Dioxide Concentrations and All-Cause Mortality in Paris. PLoS One. 2015 Jul 1;10(7):e0131463.
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