Depuis vingt ans, les scientifiques constatent avec inquiétude que les capacités intellectuelles ne cessent de diminuer à l’échelle mondiale. Si le quotient intellectuel (QI) était en hausse jusque dans le milieu des années 90, on observe depuis lors une baisse constante et régulière de celui-ci dans de nombreux pays occidentaux. A cela s’ajoute une explosion des cas d’autisme et de troubles de l’attention. Comment expliquer ces récents phénomènes ?
Le rôle de la thyroïde dans le développement neurologique du bébé, en particulier dès les premières semaines de grossesse, est bien connu depuis les années 60. Un essai clinique de grande ampleur mené en Nouvelle Guinée avait montré à l’époque comment une carence d’iode augmentait significativement les cas de crétinisme dans une population [1]. Nous savons à présent que la thyroïde fixe l’iode pour fabriquer l’hormone thyroïdienne, essentiel au développement cérébral. Malheureusement, la quasi-disparition du crétinisme a également pour conséquence l’oubli de l’importance de l’iode dans le développement du cerveau. L’OMS constate actuellement des déficits en iode dans une cinquantaine de pays avec une carence plus ou moins marquée dans 4% des pays européens. Des essais cliniques plus récents ont été menés afin de connaître les conséquences d’une carence légère en iode sur le développement neurologique. Un suivi sur 11 ans des enfants depuis leur naissance a mis en évidence une différence de plusieurs points de QI entre les enfants des mères carencées et celles non carencées. De même, les diagnostics d’hyperactivité et de troubles de l’attention étaient significativement plus élevés chez les enfants des mères carencées [2].
Ces conclusions plaident en faveur d’un message important de santé publique à faire passer, d’autant que peu de médecins sont conscients du phénomène. Mais le constat ne s’arrête pas là, il convient de s’interroger sur l’existence d’autres facteurs environnementaux chimiques pouvant également jouer un rôle sur le développement cérébral. A ce titre, de nombreux éléments dans notre environnement présentent une structure chimique très proche de celle de l’iode. Trois molécules sont plus particulièrement ciblées : le Brome, le Chlore et le Fluor. Ces substances peuvent en effet être confondues par le corps avec les hormones thyroïdiennes – d’où le terme de perturbateur endocrinien – et ainsi induire des effets délétères sur l’organisme et sa descendance.
Deux questions majeures de santé publique se posent alors : où trouve-t-on ces molécules et quelles peuvent être leurs effets sur le cerveau ?
Les PCB
Issus du chlore, les polychlorobiphényles (PCB), aussi appelés biphényles polychlorés (BPC) se retrouvent dans les plastiques, peintures, colles ou encore transformateurs électriques.
S’ils sont interdits depuis les années 80 (1987 en France), ils restent encore extrêmement présents dans notre environnement. Une fois leur poussière réduite en sédiment, ils remontent dans la chaîne alimentaire à travers certains poissons, viandes, fruits de mer ou produits. Plusieurs études ont montré une corrélation entre le taux de PCB des mères et la baisse de plusieurs points de QI chez leurs enfants. Il a également été mis en évidence que ces substances agissent comme des hormones thyroïdiennes sur les cellules humaines [3].
Les retardateurs de flamme
Dérivé du brome et du chrome, les retardateurs de flamme sont présents dans les téléviseurs, ordinateurs, matelas, mousses de canapé ou encore téléphones portables.
Au croisement d’un intense lobby et de la peur immémoriale du feu, ils se sont imposés dans toutes les maisons américaines au cours des années 70, jusque dans les pyjamas des enfants. Cela représentait même un argument de vente à l’époque jusqu’à ce que l’on détecte des résidus de tris (abréviation de trishydroxyméthylaminométhane) dans les urines des enfants moins de 24 heures après avoir porté le pyjama incriminé. Cette substance a rapidement été identifiée comme mutagène et cancérigène, ce qui a permis son interdiction immédiate, tout cela grâce à la réactivité de la biochimiste américaine Arlène Bloom [4]. Cette affaire, désormais connue des pouvoirs publics, n’a toutefois pas empêché l’industrie des retardateurs de flamme de se développer au cours décennies suivantes et l’on constate aujourd’hui une hausse des taux de retardateurs de flamme dans la poussière et la présence de tris, la même substance interdite 40 ans plus tôt, dans 80% des 101 produits de puériculture testés en 2011 [5].
Par ailleurs, de nouvelles études ont mis en évidence un lien entre certains retardateurs de flamme et l’altération du développement cérébral, comme celle menée par Brenda Eskenazie et qui montre que plus le taux de certains retardateurs de flamme dans le sang des femmes enceintes est élevé, plus le QI de leur enfant alors âgé de 7 ans est bas [6]. Ces études n’empêchent pas les lobbies de continuer à se battre, vidéo à l’appui, pour vanter les bienfaits sécuritaires de leurs produits. En dehors des effets dévastateurs pour l’organisme, l’efficacité de ces produits est par ailleurs contestée comme a pu en témoigner l’experte Hon Inez Tenebaum au sénat américain en juillet 2012. Depuis fin 2013, ces produits ne sont plus obligatoires dans les canapés en Californie. En Europe, les législations diffèrent tellement d’un pays à l’autre qu’il est très difficile de connaître la contenance en retardateurs de flamme de notre canapé, tapis ou mousse de coussin.
Les pesticides
Dérivés du fluor et du brome ou chlore, les pesticides sont probablement le composé chimique le plus connu du grand public. Conçus pour tuer les organismes considérés comme nuisibles par les agriculteurs, la neurotoxicité à haute dose de ces molécules est connue depuis toujours. En revanche, il a fallu attendre l’étude CHAMACOS lancée en 2000 pour avoir des indications sur les effets à faible dose sur le développement cérébral du fœtus [7]. Une relation entre les niveaux de résidus des pesticides des femmes enceintes et le développement cérébral de leur enfant a été établie de plusieurs manières. En 17 ans de suivi, on a constaté chez les mères présentant des niveaux élevés de résidus de pesticides: des réflexes anormaux chez les nouveau-nés, un retard intellectuel chez les enfants de 2 ans, une augmentation des cas d’autisme, des problèmes d’attention ainsi qu’une baisse du QI chez les enfants de 7 ans. Chez les enfants des mères les plus exposées, on a pu relever une différence de 7 points de QI par rapport aux mères les moins exposées. Malgré l’accumulation des études dans les revues scientifiques, les pesticides sont toujours autorisés dans l’agriculture et restent présents dans de nombreux produits de la vie courante tels que les sprays anti-insectes.
Comment protéger les cerveaux des futurs bébés ?
Le fait est qu’aujourd’hui, l’ignorance est totale sur le nombre de molécules chimiques pouvant agir sur les hormones thyroïdiennes. Chaque bébé naît actuellement aux Etats-Unis avec plus de 100 molécules chimiques dans le sang. Sans parler des trois molécules précédentes clairement identifiées comme néfastes pour le développement cérébral du fœtus, l’impact de ces molécules sur la thyroïde reste inexploré. Un grand nombre de ces molécules ont été testées sur les têtards, du fait qu’ils possèdent des hormones thyroïdiennes semblables aux nôtres. Le résultat est accablant : deux tiers de ces molécules perturbent le fonctionnement thyroïdien, d’où l’urgence de tester ces molécules sur l’être humain.
Dans l’attente d’une règlementation efficace, les scientifiques conseillent d’éliminer au maximum les bisphénols, perfluorés, phtalates, triclosans, pesticides ou retardateurs de flamme qui ont envahi notre quotidien. Par ailleurs, la chercheuse Barbara Demenex endocrinologue et spécialiste des perturbateurs endocriniens, propose une mesure simple et peu coûteuse visant à protéger le cerveau des bébés : un test vérifiant que les femmes ont un niveau d’iode suffisamment élevé pour fabriquer des hormones thyroïdiennes pour elle et leur enfant [8]. D’autres chercheurs comme le docteur Francesco Vermiglio réalisent des campagnes de santé publique en Sicile visant à donner aux mères des sels et des compléments iodés afin de prévenir ces carences mais également en faisant l’hypothèse que saturer la thyroïde d’iode pourrait se révéler être un rempart contre certaines attaques chimiques [9,10]. Des études comme celle menée en Suède sur les femmes enceintes permettront de vérifier la véracité de cette hypothèse [11]. Quoi qu’il en soit, la surveillance de l’iode pourrait devenir un geste individuel essentiel déjouant l’inaction des autorités.
Références
[1] P.O.D Pharoah, I.H Buttfield, B.S Hetzel. Neurological damage to the fetus resulting from severe iodine deficiency during pregnancy. Lancet. 1971 Feb 13;1(7694):308-10.
[2] Mariacarla Moleti, Giacomo Sturniolo, Francesco Trimarchi and Francesco Vermiglio. The changing phenotype of iodine deficiency disorders: a review of thirty-five years of research in north-eastern Sicily. Ann Ist Super Sanità 2016 | Vol. 52, No. 4: 550-557.
[3] Wadzinski TL, Geromini K, McKinley Brewer J, Bansal R, Abdelouahab N, Langlois MF, Takser L, Zoeller RT. Endocrine disruption in human placenta: expression of the dioxin-inducible enzyme, CYP1A1, is correlated with that of thyroid hormone-regulated genes. J Clin Endocrinol Metab. 2014 Dec;99(12):E2735-43.
[4] Arlène Blum, Bruce N. Ames. Flame-retardant additives as possible cancer hazards. Science. 1977 Jan 7;195(4273):17-23.
[5] Stapleton HM, Klosterhaus S, Keller A, Ferguson PL, van Bergen S, Cooper E, Webster TF, Blum A. Identification of flame retardants in polyurethane foam collected from baby products. Environ Sci Technol. 2011 Jun 15;45(12):5323-31.
[6] Rosemary Castonina, Brenda Eskenazi and al. Current-use flame retardants: Maternal exposure and neurodevelopment in children of the CHAMACOS cohort. Chemosphere. 2017 Dec;189:574-580..
[7] Eskenazi B, Kogut K, Huen K, Harley KG, Bouchard M, Bradman A, Boyd-Barr D, Johnson C, Holland N. Organophosphate pesticide exposure, PON1, and neurodevelopment in school-age children from the CHAMACOS study. Environ Res. 2014 Oct;134:149-57.
[8] Barbara Demeneix, Cocktail toxique, comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau Éditions Odile Jacob (2017).
[9] Moleti M, Di Bella B, Giorgianni G, Mancuso A, De Vivo A, Alibrandi A, Trimarchi F, Vermiglio F. Maternal thyroid function in different conditions of iodine nutrition in pregnant women exposed to mild-moderate iodine deficiency: an observational study. Clin Endocrinol (Oxf). 2011 Jun;74(6):762-8.
[10] Moleti M, Trimarchi F, Tortorella G, Candia Longo A, Giorgianni G, Sturniolo G, Alibrandi A, Vermiglio F. Effects of Maternal Iodine Nutrition and Thyroid Status on Cognitive Development in Offspring: A Pilot Study. Thyroid. 2016 Feb;26(2):296-305.
[11] Derakhshan A, Shu H, Broeren MAC, de Poortere RA, Wikström S, Peeters RP, Demeneix B, Bornehag CG, Korevaar TIM. Reference ranges and determinants of thyroid function during early pregnancy: the SELMA study. J Clin Endocrinol Metab. 2018 Jul 2.
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