Santé des immigrés : quand les difficultés d’installation détériorent l’état de santé. Exemple de la population immigrée d’Afrique subsaharienne.

Alors que l’accueil des réfugiés devient un enjeu crucial en Europe depuis la dite « crise migratoire » de l’été 2015, le processus d’installation des immigrés est peu renseigné, notamment parce qu’on manque de données longitudinales sur cette question. Les études disponibles portent soit sur la thématique de l’intégration sur le marché du travail ou sur des sous-groupes de population (par exemple bénéficiaires d’un titre de séjour, cf. par exemple l’enquête ELIPA). A partir des données de l’enquête ANRS Parcours, nous avons pu observer le processus d’installation des immigrés d’Afrique subsaharienne à leur arrivée et le mettre en lien avec leur état de santé.

L’enquête Parcours

Cette enquête, qui porte sur la migration et la santé, a recueilli des informations permettant une analyse approfondie des trajectoires des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne. L’objectif de l’enquête est de fournir des réponses aux questions de santé publique qui se posent de manière particulière dans cette population. Il s’agit d’un dispositif d’enquête quantitative biographique, c’est-à-dire que grâce à un questionnaire fermé en face-à-face, l’enquêteur peut reconstituer la trajectoire de la personne année par année. L’enquête permet donc de décrire les situations vécues chaque année depuis la date d’arrivée en France des immigrés puis d’étudier leur processus d’installation en analysant le temps nécessaire pour accéder à un logement personnel, à un titre de séjour d’au moins un an et à une activité professionnelle qui leur permet de subvenir à leurs besoins.

Près de 2500 personnes ont été interrogées lors de l’enquête Parcours en 2012-2013, dont 763 recrutées dans des centres de médecine générale. Elles sont arrivées entre 1972 et 2013 en France. Originaires de toutes les régions d’Afrique subsaharienne, il y a cependant une concentration sur sept pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale : Cameroun, République démocratique du Congo, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, République du Congo (Brazzaville) et Sénégal. Les motifs de migration recueillis dans l’enquête sont, par fréquence décroissante : rechercher un travail et avoir une vie meilleure (« tenter sa chance »), rejoindre un membre de sa famille, quitter son pays à cause de menaces, poursuivre des études, être venu(e) pour des raisons médicales.

Une période de précarité qui dure plusieurs années

La population d’étude est constituée de 763 personnes recrutées dans les services de médecine générale ; les femmes représentaient 53% de l’échantillon.

Pour que les trois éléments d’installation – logement, titre de séjour d’au moins un an et travail rémunéré – soient acquis pour au moins 50% des personnes, il faut attendre la sixième année de séjour en France pour les femmes et la septième pour les hommes (Figure 1).

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Figure 1. Proportion d’immigrés installés selon le nombre d’années passées en France. (Extrait de Gosselin et al. 2016)

Ces immigrés venus d’Afrique subsaharienne arrivent en France à un âge médian de 27 ans ; cette longue période d’installation intervient à un moment charnière dans la construction de leur vie familiale et professionnelle. Durant cette longue période, ces immigrés vivent une situation d’insécurité due à l’absence de titre de séjour pérenne et/ou de leur propre logement et/ou d’une activité professionnelle rémunérée. L’étude révèle également, qu’un quart des femmes et des hommes n’ont toujours pas obtenu ces éléments de base au bout, respectivement, de la onzième et de la douzième année en France. De plus, cette longue période de précarité n’est pas circonscrite à certaines catégories d’immigrés puisqu’elle concerne tous les immigrés d’Afrique subsaharienne quel que soit leur profil, à quelques nuances près : par exemple, les hommes avec un niveau d’étude supérieur connaissaient une période de précarité plus courte [1, 2].

Et la santé dans tout ça ?

Ces difficultés d’installation ne sont pas sans conséquences pour la santé de ces personnes. Dans un précédent billet, nous avions décrit comment la précarité est un facteur indirect de l’infection par le VIH. Mais d’autres conséquences sanitaires sont aussi à déplorer. Ainsi, par exemple, Julie Pannetier a démontré comment les symptômes anxio-dépressifs étaient liés au fait d’être sans titre de séjour et sans logement. Dans l’enquête PARCOURS, parmi les participants recrutés dans les centres de santé généralistes, un total de 24% de femmes et 18% d’hommes connaissaient un état d’anxio-dépression au moment de l’enquête ; en lien notamment avec le fait de vivre à la rue et d’être au chômage [3].

Un autre exemple concerne les comportements addictifs observés parmi les personnes en situation de précarité. Bien que la consommation d’alcool à risque telle que définie par l’OMS1 soit faible parmi l’ensemble des participants comparée à la population générale française, (17,3% versus 45,7% chez les hommes, 7,7% versus 17,3% chez les femmes), elle est plus élevée parmi les personnes en situation de précarité sociale. Toutes choses égales par ailleurs, les hommes possédant un titre de séjour de courte durée ont une consommation d’alcool à risque plus élevée que les hommes avec un titre de séjour de dix ans ou de nationalité française. Par ailleurs, les femmes ayant fui leur pays d’origine apparaissent davantage vulnérables à la consommation d’alcool à risque, il s’agit de femmes qui arrivent souvent dans des circonstances plus difficiles en France et qui sont plus précaires [4].

Il faut ajouter que les personnes arrivées récemment rencontrent davantage de difficultés que celles arrivées il y a longtemps, car le temps nécessaire pour obtenir un titre de séjour d’une durée minimum d’un an est de plus en plus long à cause du durcissement des politiques d’immigration et notamment de restriction du regroupement familial (Figure 2).

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Figure 2. Les médianes d’installation en nombre d’années passées en France, selon la période d’arrivée des immigrés, par sexe

D’autre part, on note une augmentation du nombre de femmes qui arrivent dans des circonstances particulièrement difficiles, en raison de menaces dans leur pays d’origine : environ 8% des femmes sont venues pour ce motif avant 1996 alors qu’elles représentent 23% des arrivées entre 2005 et 2013.

Nos résultats présagent ainsi d’une période de précarité de plus en plus longue à l’arrivée. Malheureusement la multiplication des déplacements de personnes chassées par les conflits armés depuis 2015 et leurs conditions déplorables d’accueil en France ne font que confirmer et aggraver ce constat : sans doute faut-il s’attendre à des conséquences toujours plus marquées sur la santé des personnes, à moins que les pouvoirs publics ne se décident à mettre en place une réelle politique d’accueil des immigrés et notamment un accès aux soins inconditionnel.

Notes

1. À partir du score AUDIT-C, l’OMS recommande d’établir des profils d’alcoolisation : non consommateurs, consommateurs sans risque, consommateurs à risque ponctuel, consommateurs à risque chronique. La consommation à risque comprend ces deux derniers profils. Pour plus d’informations, cf. Ravalihasy et al. 2016

 Références bibliographiques

  1. Gosselin A, Desgrées du Loû A, Lelièvre E, Lert F, Dray-Spira R, Lydié N, et al. Migrants subsahariens: combien de temps leur faut-il pour s’installer en France? Population & Sociétés [Internet]. 2016;(533).
  2. Gosselin A, Loû AD du, Lelièvre E, Lert F, Dray-Spira R, Lydié N, et al. Understanding Settlement Pathways of African Immigrants in France Through a Capability Approach: Do Pre-migratory Characteristics Matter? Eur J Population. 22 janv 2018;1‑23.
  3. Pannetier J, Lert F, Jauffret Roustide M, du Loû AD. Mental health of sub-saharan african migrants: The gendered role of migration paths and transnational ties. SSM – Population Health. 1 déc 2017;3(Supplement C):549‑57.
  4. Ravalihasy A, Desgrées du Loû A, Pannetier J, Vignier N, Lert F, Dray-Spira R, et al. La consommation d’alcool chez les migrants originaires d’Afrique subsaharienne en France /// Andrainolo Ravalihasy, Annabel Desgrées du Loû, Julie Pannetier, Nicolas Vignier, France Lert, Rosemary Dray-Spira, Nathalie Lydié pour le groupe PARCOURS. Paris: CEPED; 2016 nov p. 26. Report No.: 35.
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