Evolution et persistance des inégalités sociales de santé en Europe. Résumé de la présentation J. Mackenbach lors du colloque ISS de l’Académie de médecine (2020).

L’Académie de médecine a organisé le 22 Janvier 2020, dans le cadre de son bicentenaire, un colloque sur les inégalités de santé, où de nombreux chercheurs français et internationaux sont intervenus. Parmi les nombreuses et riches interventions, nous avons choisi de porter notre attention sur celle de Johan Mackenbach, professeur de santé publique aux Pays-Bas et spécialiste des inégalités sociales de santé, qui a présenté une synthèse de ses travaux sur la persistance des inégalités de santé en Europe.

Article co-écrit avec Charline Vincent

Il est maintenant bien établi que les inégalités sociales ont un impact sur l’espérance de vie et la santé. Les déterminants socio-économiques les plus souvent utilisés sont les revenus, le diplôme et l’emploi. Lors de ce colloque, d’autres facteurs sociaux d’inégalité de santé ont été abordés, tels que l’environnement, le territoire ainsi que le genre. Une attention particulière a été accordée aux migrants et aux immigrés, qui constituent une population particulièrement vulnérable. Plusieurs leviers d’action ont été détaillés : accès aux soins, formation des personnels de santé, financements de l’aide mondiale, politiques sociales. Nous résumerons et discuterons ici des résultats présentés par Johan Mackenbach.

J. Mackenbach a rappelé que les inégalités de santé associées aux différences socio-économiques sont présentes dans le monde entier et ce, même dans des pays Européens pour lesquels les systèmes de protection sociale sont développés. A titre d’exemple, aux Pays-Bas, les inégalités sociales au regard de la mortalité sont importantes : l’espérance de vie des hommes les plus diplômés est 6 à 7 ans supérieure que celle des hommes les moins diplômés.  Si on considère l’espérance de vie sans incapacité, ces inégalités sont encore plus larges, atteignant 15 à 17 ans d’écart [1]. La persistance de telles inégalités en Europe malgré l’implantation des politiques d’état-providence questionne. Il a donc présenté une série d’études comparatives sur les inégalités de santé dans différents pays d’Europe permettant d’identifier les facteurs déterminant l’ampleur des inégalités de santé et trouver des pistes de réflexion pour les réduire (Figure 1) [2, 3].

Figure 1 : Les tendances des taux de mortalité (Age standartised mortality rate ASMR) et des indices d’inégalité de mortalité (Slope index of inequality SII et relative index of inequality RII), toutes causes confondues, selon le niveau d’étude pour les hommes, ca . 1980 à ca . 2014 Source : Health inequalities, J. Mackenbach

Les évolutions des inégalités de mortalité en Europe sont présentées ici selon deux types d’indicateurs, absolu ou relatif (les différences et l’intérêt de présenter ces deux types de mesure ont été présentés dans un précédent article de SoEpidemio, par Gwenn Menvielle).

Dans la plupart des pays européens, la mortalité a globalement diminué, quelles que soient les classes sociales (Figure 1A et 1B). La vitesse de diminution dans l’une ou l’autre des classes sociales considérées dépend des indicateurs utilisés. La baisse relative des inégalités de mortalité est ainsi plus rapide parmi les populations avec un plus haut niveau d’étude, creusant les inégalités relatives (figure 1D). Cependant, la baisse de mortalité en terme absolu est souvent plus rapide dans les classes défavorisées, réduisant de ce fait les inégalités absolues (figure 1C).

J. Mackenbach a ensuite présenté ses travaux sur la mortalité par cause (Figure 2), permettant  de mieux comprendre ces inégalités de santé [1].


Figure 2 : Inégalités de mortalité par cause et par sexe, exprimées selon le rapport de taux de décès entre les populations les plus et les moins éduquées, dans 16 pays européens. Source : Health inequalities, J. Mackenbach.

La figure 2 montre que la mortalité cause-spécifique est dans la grande majorité des cas plus élevée chez les personnes les moins instruites. De plus, l’amplitude de ces inégalités est fortement variable selon les pathologies. Ces pathologies sont très variées, et peuvent être liées à des facteurs de risques très différents.

J. Mackenbach a par ailleurs souligné que certaines des inégalités de mortalité les plus larges en termes relatifs sont liées à des causes évitables, soit par la prévention de certains facteurs de risque comportementaux, soit par des interventions médicales. Ainsi, chez les hommes, les inégalités de mortalités sont très marquées par les pathologies liées à la consommation de tabac, à la consommation d’alcool (facteurs de risque comportementaux), ainsi qu’à des maladies infectieuses comme la tuberculose (accessible à un traitement médical) ou au suicide (lié à la dépression et aux soins en santé mentale). Chez les femmes, il s’agit principalement du diabète, très lié à un facteur de risque évitable, l’obésité.

Le chercheur a ensuite analysé trois raisons qui selon lui expliquent la persistance de ces inégalités face à la mort dans les états ayant développé l’Etat-providence (Welfare State).

  • D’une part, la pauvreté, mesurée par le niveau des revenus ou par les privations matérielles déclarées (accès à des articles considérés nécessaires pour mener une vie « décente ») qui a un impact sur la santé (notamment sur la santé mentale et l’accès aux soins) et reste importante en Europe.
  • D’autre part, les systèmes sociaux européens dits « méritocratiques » attachent une grande importance à la réussite scolaire. Les individus ayant une meilleure performance académique sont en même temps ceux qui ont des conditions socio-économiques plus favorables, et qui auront des meilleures conditions de vie et par conséquent un meilleur état de santé. Ainsi, l’importance accordée à la réussite scolaire amplifie les différences socio-économiques des individus et leurs différences en termes de santé.
  • Enfin, l’accès aux soins et aux informations de santé est plus facile pour les personnes avec un niveau d’études plus élevé, qui bénéficient davantage de la prévention, renforçant encore l’écart avec les personnes avec un faible niveau d’études.

En conclusion, afin de lutter contre ces inégalités sociales de santé, J. Mackenbach suggère de mener des réformes sociales visant à minimiser ces inégalités, par exemple en ciblant le développement durant l’enfance, les inégalités matérielles (amélioration de la progressivité des impôts, de l’accès aux services de soins) ou les inégalités d’espérance de vie en bonne santé (réforme des systèmes de retraites). Il propose également une réflexion sur des politiques de compensation pour les personnes n’ayant pas pu profiter du système dit méritocratique (left-behind). Il souligne enfin que dans un contexte où la mortalité diminue globalement, il est pertinent de cibler à l’échelle populationnelle les causes de mortalité qui contribuent le plus aux différences sur le décès chez les personnes défavorisées, et de mesurer le résultat de ces politiques publiques à l’aide d’indicateurs absolus.

Dans un prochain article, nous discuterons des résultats présentés par de Vincent Lorant, docteur en santé publique et sociologue à l’Université catholique de Louvain, qui s’est intéressé à l’accès à la santé pour les migrants en Europe dans un deuxième article.

Références

1.         Mackenbach JP. Health Inequalities: Persistence and change in European welfare states. Oxford, New York: Oxford University Press; 2019. 252 p.

2.         Mackenbach JP, Valverde JR, Artnik B, Bopp M, Brønnum-Hansen H, Deboosere P, et al. Trends in health inequalities in 27 European countries. Proc Natl Acad Sci U S A. 19 juin 2018;115(25):6440‑5.

3.         Mackenbach JP, Rubio Valverde J, Bopp M, Brønnum-Hansen H, Costa G, Deboosere P, et al. Progress against inequalities in mortality: register-based study of 15 European countries between 1990 and 2015. Eur J Epidemiol. 15 nov 2019;

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