Le régime alimentaire prénatal affecte-t-il l’humeur de la mère ?

Nous savons qu’une bonne alimentation et de l’exercice physique peuvent prévenir l’apparition de nombreuses maladies chroniques. De nouvelles recherches laissent entrevoir l’influence de l’alimentation sur notre humeur dans la population générale, mais qu’en est-il chez les femmes enceintes ? Une alimentation prénatale saine pourrait contribuer positivement à l’état de santé mentale de la mère, entre autres bénéfices.

Que savons-nous des troubles de l’humeur périnataux ?

Les troubles de l’humeur périnataux constituent un problème de santé publique urgent qui touche les mères et les enfants dans le monde entier. Une méta-analyse récente, publiée dans Translational Psychiatry, a évalué 565 études sur le sujet et estime que 17,2 % des femmes souffrent de dépression post-partum dans le monde [1]. Cette estimation n’inclut donc pas la dépression ou l’anxiété prénatale, dont les taux de prévalence sont de 9,2 % et 15,2 %, respectivement [2, 3]. Ces estimations varient entre les pays à haut revenu et les pays à faible et moyen revenu. Cependant, les recherches sur les causes multifactorielles des troubles de l’humeur périnataux sont rares et encore sujettes à débat. Les facteurs de risque peuvent être de nature biologique ou psychosociale et peuvent inclure des antécédents de problèmes de santé mentale, un faible soutien social ou des fluctuations hormonales extrêmes. Récemment, l’alimentation pendant la grossesse a été étudiée comme un facteur contributif potentiel, car il existe de nouvelles preuves de son influence sur la santé mentale dans la population générale [4]. Une recherche rapide sur Internet avec les mots  » grossesse « ,  » régime  » et  » humeur  » affiche des titres comme  » Les 5 meilleurs aliments pour améliorer votre humeur pendant la grossesse « . Cependant, il n’y a pas encore de consensus en ce qui concerne l’influence des nutriments ou des habitudes alimentaires spécifiques sur l’apparition de troubles de l’humeur périnataux. Les liens entre l’humeur et l’alimentation ne sont pas encore entièrement clairs et l’identification de mesures préventives chez les femmes enceintes reste un défi.

La complexité de la nutrition pendant la grossesse

La période périnatale de la vie d’une femme est complexe et implique des changements cognitifs, émotionnels et physiques constants. Le taux métabolique de base (TMB) augmente de 450 kcal/jour supplémentaires pendant la grossesse pour compenser les dépenses énergétiques additionnelles, et cette augmentation est essentielle pour le développement du fœtus [5]. Il est prouvé que la quantité et la qualité du régime alimentaire de la mère ont une influence sur le devenir de l’enfant et qu’un déséquilibre dans un sens ou dans l’autre peut exposer la mère ou l’enfant à un risque plus élevé d’un  état de santé dégradé. Par exemple, un IMC pré-grossesse et une prise de poids gestationnelle supérieurs ou inférieurs aux recommandations sont associés à des complications de la grossesse telles que la pré-éclampsie et le diabète gestationnel [6, 7] et à un risque, chez les enfants, de macrosomie (taille et poids accrus à la naissance), d’obésité infantile et de maladies cardiaques à l’âge adulte [7]. Une nutrition équilibrée (macro- et micronutriments) est de la plus haute importance pour le développement du fœtus, car le bébé dépend entièrement de la disponibilité des ressources de la mère. Par exemple, un lien bien étudié entre les nutriments prénataux et la santé du fœtus démontre qu’une carence maternelle en acide folique (vitamine B9) est associée à des anomalies de développement du tube neural [7, 8]. Il est intéressant de noter que l’acide folique peut également être impliqué dans le développement cognitif et émotionnel pendant l’enfance et pas seulement dans le développement neuro-structurel [8]. Alors que l’importance d’une prise de poids et d’une nutrition adéquate pendant la période périnatale pour la mère et le bébé est établie, la recherche commence à retrouver des liens potentiels entre l’alimentation prénatale et la santé mentale de la mère avant et jusqu’à un an après la naissance.

L’influence de l’alimentation sur la santé mentale dans la population générale

Une branche émergente de la recherche examine le lien entre les habitudes alimentaires, leurs composants et la façon dont ils influencent la biochimie du cerveau, et la santé mentale dans la population générale. La psychiatrie nutritionnelle cherche à examiner de près la relation entre les troubles de l’humeur et l’état nutritionnel et l’alimentation. La difficulté à quantifier les macro- (protéines, graisses, glucides) et micronutriments (vitamines, minéraux) dans le régime alimentaire d’une personne ne fait que compliquer le défi de la mesure de la relation entre nutrition et humeur. Des recherches antérieures montrent comment la présence ou l’appauvrissement en graisses essentielles, en vitamines, en minéraux, ou comment l’élimination des sucres raffinés et des aliments hautement transformés dans l’alimentation, peuvent affecter la santé mentale. Par exemple, des études en neurochimie montrent que certains micronutriments spécifiques, tels que les acides gras oméga-3, peuvent affecter le fonctionnement des neurones dans le cerveau [9]. D’autres études ont examiné le rôle d’un « régime sain » par rapport à un « régime occidental » et ont constaté que le premier pouvait avoir un effet protecteur contre la dépression ou l’anxiété. Cependant, de nombreux facteurs de confusion rendent l’étude de cette relation difficile. Étant donné les changements métaboliques intenses tout au long de la grossesse, la disponibilité des nutriments change au cours cette période et peut influencer la santé mentale périnatale. Jusqu’à récemment, les études sur le sujet visaient à définir les corrélations entre seulement une ou deux vitamines, minéraux ou modes d’alimentation, et la survenue d’une dépression post-partum ou de symptômes de dépression jusqu’à un an après la naissance ; cependant, peu d’études ont adopté une approche globale pour démêler ces liens complexes entre l’alimentation, ses composants et les troubles de l’humeur affectant la période périnatale.

La nécessité de démêler les relations complexes entre l’alimentation et l’humeur périnatale

Notre récente étude a examiné de manière exhaustive les associations entre les macro- et micronutriments, les habitudes alimentaires et les facteurs de confusion potentiels, tels que le statut socio-économique et l’IMC, et la santé mentale périnatale dans la cohorte mère-enfant EDEN. Nous avons constaté que parmi 1438 mères vivant en France, un « régime alimentaire sain » (composé principalement de fruits et de légumes) était associé à la présence de micronutriments essentiels, tandis que le « régime alimentaire occidental » (composé principalement de snacks, de plats préparés industriellement et de viandes transformées) [10] était systématiquement associé à un apport plus faible en micronutriments spécifiques. Cette observation confirme l’idée qu’une alimentation « saine » peut fournir des nutriments vitaux dont la mère et le bébé ont grand besoin. À l’inverse, notre étude a également révélé qu’un « régime alimentaire occidental » contenait un excès de certains macronutriments, entraînant un déséquilibre global dans le régime alimentaire de la mère, associé à des symptômes de dépression postnatale. Il est possible que le déséquilibre entre l’excès de macronutriments et le manque de certains micronutriments, en plus des changements physiques et psychosociaux intenses, augmente le risque de troubles de l’humeur périnataux. Il est intéressant de noter qu’un faible niveau d’étude était associé à des scores plus élevés de « régime alimentaire occidental », mais même après avoir pris en compte le niveau d’étude, le « régime alimentaire occidental » restait associé à un risque de développer des symptômes de dépression postnatale.

Ces résultats confirment que les liens entre les habitudes alimentaires, la disponibilité des nutriments et la santé mentale périnatale sont très complexes. Plusieurs études visent à démêler ces liens des facteurs psychosociaux et des facteurs socio-économiques. L’utilisation de la méthode d’analyse de réseaux (network analysis) est un bon point de départ pour explorer ces relations. Une description plus complète de notre récente étude et de la manière dont nous avons appliqué l’analyse de réseaux sera disponible dans un prochain article sous l’onglet « Méthodes » du blog SoEpidemio.

Article translation : Does prenatal diet affect a mother’s mood?

We know that proper diet and exercise can stave off many chronic diseases. Emerging research hints at how diet influences our mood in the general population, but what about in pregnant women? A healthy prenatal diet might positively contribute to maternal mental health status among other benefits.

What do we know about perinatal mood disorders?

Perinatal mood disorders are a pressing public health issue that affects mothers and developing children worldwide. A recent meta-analysis published in Translational Psychiatry assessed 565 studies concerning the topic and estimated that 17.2% of women experience postpartum depression globally [1]. That did not include prenatal depression or anxiety, for which prevalence rates range between 9.2% and 15.2%, respectively [2, 3]. These estimates vary between High Income Countries (HIC) and Low and Middle Income Countries (LMIC). However, the research surrounding the multifactorial causes of perinatal mood disorders is scarce and still subject to debate. Influential factors may be biological or psychosocial in nature and can include a history of mental health problems, low social support, or extreme fluctuations in hormone levels. Recently, nutrition during pregnancy has been examined as a potential contributing factor as there is emerging evidence of its influence on mental health in the general population [4]. A quick internet search of ‘pregnancy,’ ‘diet,’ and ‘mood,’ results in headlines like, ‘Top 5 Foods To Boost Your Mood During Pregnancy’. However, there is yet to be any consensus on whether specific nutrients or diet patterns influence the occurrence of perinatal mood disorders. The connections between mood and diet are not entirely clear and identifying preventative measures in pregnant women remains a challenge.

The complexities of nutrition during pregnancy

The perinatal period in a woman’s life is complex and involves constant mental, emotional, and physical changes. An increase in basal metabolic rate (BMR) during pregnancy necessitates an additional 450 kcal/day to account for the extra expenditure and is critical for the developing fetus [5]. Evidence suggests that both quantity and quality of the maternal diet are influential in childhood outcomes and that an imbalance in either direction can put the mother or child at higher risk for poor health outcomes. For example, pre-pregnancy BMI and Gestational Weight Gain above or below the recommendation, are associated with pregnancy complications such as pre-eclampsia and gestational diabetes [6, 7]. In offspring, macrosomia (increased infant birth size and weight), childhood obesity and heart disease in adulthood are also associated with this imbalance [7]. Balanced nutrition (macro- and micronutrients) is of utmost importance for fetal development since the baby is completely dependent on the mother’s available resources. For example, a well-studied link between prenatal nutrients and fetal health demonstrates that a lack of folic acid is associated with neural tube defects [7, 8]. Interestingly, folic acid may also be involved with cognitive and emotional childhood outcomes and not only neuro-structural development [8]. While there is established importance of proper maternal weight gain and nutrition during the perinatal period for both mother and baby, research is starting to uncover the links between prenatal diet and its potential influence on the mother’s mental health before, and up to one year after birth.

Nutrition’s influence on mood states in the general population

An emerging branch of research examines the connection between dietary patterns, their components, and how they influence the biochemistry of the brain and mental health in the general population. Nutritional Psychiatry seeks to closely examine the relationship between mood disorders and nutritional status and diet. The indeterminable combination of macro- (protein, fats, carbohydrates) and micronutrients (vitamins, minerals) in a person’s diet only complicates the challenges of quantifying the relationship between nutrition and mood. Previous research draws attention to the presence or depletion of essential fats, vitamins, minerals or the elimination of refined sugars and highly processed foods and how they affect mental health. For example, research in neurochemistry shows that specific micronutrients such as omega-3 fatty acids can affect the workability of neurons in the brain [9]. Other studies have examined the role of a ‘healthy diet’ versus a ‘western diet’ and seen that the former may have a protective effect against depression or anxiety. However, many confounding factors make it difficult to isolate this relationship. Given the intense metabolic changes throughout pregnancy, the availability of nutrients changes in the perinatal period and may influence perinatal mental health. Until recently, studies aimed to define correlations between only one or two vitamins, minerals, or diet patterns and the occurrence of postpartum depression or symptoms of depression up to one year after birth; however, few studies have taken a global approach to disentangle these complex links between diet pattern, its components, and mood disorders affecting the perinatal period.

The need to disentangle complex relationships between diet and perinatal mood

Our recent study comprehensively examined the associations between macro- and micronutrients, diet patterns, and potential confounders such as socioeconomic status and BMI with perinatal mental health in the EDEN mother-child cohort. We found that among the 1438 mothers living in France, a Healthy dietary pattern (defined as consumption of diets consisting of mainly fruits and vegetables) was associated with the presence of vital micronutrients, while the Western dietary pattern (defined as consumption of diets consisting of mainly snacks, prepared foods, and processed meats) [10] was consistently associated with a lower intake of specific micronutrients. This finding supports the idea that a “healthy” diet may provide vital nutrients much needed by mother and baby. Conversely, our study also found that a Western dietary pattern contained an excess of certain macronutrients, leading to an overall imbalance in the maternal diet that was associated with symptoms of postnatal depression. It could be that the imbalance of excess macronutrients and lack of certain micronutrients, in addition to the intense physical and psychosocial changes, increases the risk of perinatal mood disorders. Interestingly, lower education levels were associated with higher Western dietary pattern scores, but even after taking into account the educational levels, the Western dietary pattern remained associated with postnatal depression symptoms.

These results further support the evidence that the connections between dietary pattern, nutrient availability, and perinatal mental health are highly complex. Research aims to disentangle these connections all within the context of psychosocial and socioeconomic factors. A good starting point to explore these relationships lies within the application of Network Analysis. A more complete description of our recent study and how we applied Network Analysis can be found in a future post under the Methods tab of the SoEpidemio blog.

Références:

[1] Wang Z, Liu J, Shuai H, Cai Z, Fu X, Liu Y, et al. Mapping global prevalence of depression among postpartum women. Transl Psychiatry. 2021 Dec;11(1):543. https://doi.org/10.1038/s41398-021-01663-6

[2] Dennis CL, Falah-Hassani K, Shiri R. Prevalence of antenatal and postnatal anxiety: Systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry. 2017 May;210(5):315–23. http://doi.org/10.1192/bjp.bp.116.187179

[3] Woody CA, Ferrari AJ, Siskind DJ, Whiteford HA, Harris MG. A systematic review and meta-regression of the prevalence and incidence of perinatal depression. Journal of Affective Disorders. 2017 Sep;219:86–92. https://doi.org/10.1016/j.jad.2017.05.003

[4] Adan RAH, van der Beek EM, Buitelaar JK, Cryan JF, Hebebrand J, Higgs S, et al. Nutritional psychiatry: Towards improving mental health by what you eat. European Neuropsychopharmacology. 2019 Dec;29(12):1321–32. 10.1016/j.euroneuro.2019.10.011

[5] Most J, Dervis S, Haman F, Adamo KB, Redman LM. Energy Intake Requirements in Pregnancy. Nutrients. 2019 Aug 6;11(8):1812. https://doi.org/10.3390/nu11081812

[6] LifeCycle Project-Maternal Obesity and Childhood Outcomes Study Group, Voerman E, Santos S, Inskip H, Amiano P, Barros H, et al. Association of Gestational Weight Gain With Adverse Maternal and Infant Outcomes. JAMA. 2019 May 7;321(17):1702. doi:10.1001/jama.2019.3820

[7] Santangeli L, Sattar N, Huda SS. Impact of Maternal Obesity on Perinatal and Childhood Outcomes. Best Practice & Research Clinical Obstetrics & Gynaecology. 2015 Apr;29(3):438–48. https://doi.org/10.1016/j.bpobgyn.2014.10.009

[8] Gao Y, Sheng C, Xie R hua, Sun W, Asztalos E, Moddemann D, et al. New Perspective on Impact of Folic Acid Supplementation during Pregnancy on Neurodevelopment/Autism in the Offspring Children – A Systematic Review. Rosenfeld CS, editor. PLoS ONE. 2016 Nov 22;11(11):e0165626. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0165626

[9] Dyall SC, Michael-Titus AT. Neurological Benefits of Omega-3 Fatty Acids. Neuromol Med. 2008 Dec;10(4):219–35. https://doi.org/10.1007/s12017-008-8036-z

[10] Yuan WL, Nicklaus S, Lioret S, Lange C, Forhan A, Heude B, et al. Early factors related to carbohydrate and fat intake at 8 and 12 months: results from the EDEN mother–child cohort. Eur J Clin Nutr. 2017 Feb;71(2):219–26. https://doi.org/10.1038/ejcn.2016.216

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