Le cannabis : un cadeau empoisonné ?

Alors que la France est un pays où la consommation de cannabis est illégale, c’est également un des pays dont la population est la plus consommatrice de cannabis avec, par exemple, 21,8 % des 15-34 ans qui en ont consommé au moins une fois dans leur vie [1]. Par ailleurs, l’expérimentation du cannabis médical a été inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et est opérationnelle depuis mars 2021. Cependant, dans ce contexte, les perceptions et représentations du produit chez les adultes ne sont, à ce jour, pas documentées. L’étude qualitative du projet CANAAn (Facteurs associés aux trajectoires de CANnabis de l’adolescence à l’âge adulte) vise à mieux comprendre les motivations liées aux consommations de ce produit à l’âge adulte et le sens attribué à ces usages.

En 2017, 44,8 % des 18-64 ans ont déjà expérimenté le cannabis [2]. La proportion d’usagers adultes augmente, traduisant à la fois le vieillissement des populations qui ont expérimenté le cannabis pendant sa période de forte diffusion, mais aussi le ralentissement des initiations chez les plus jeunes [2]. Une tendance se dessine : les premières générations de consommateurs n’ont pas abandonné leur consommation en vieillissant.

Entre 2014 et 2017, l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) a mené l’étude qualitative ARAMIS afin de mieux comprendre les motivations des plus jeunes à essayer et consommer des substances psychoactives, tout en retraçant leurs trajectoires de consommation [3]. Lors de son expérimentation, le cannabis, à l’inverse de la cigarette, a suscité des impressions souvent positives, le cannabis bénéficiant très souvent d’une image normalisée, moins addictif et moins « dangereux » que la cigarette. Néanmoins, les raisons de la consommation de cannabis chez les adultes restent encore peu documentées. Qu’en est-il donc pour les adultes ?

L’étude CANAAn mise en place au sein de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Sociale (ERES) de l’Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique (IPLESP, unité mixte de Recherche INSERM et Sorbonne-Université) est basée sur la cohorte TEMPO (Trajectoires EpidéMiologiques en POpulation), une cohorte de jeunes adultes suivis de manière longitudinale depuis 1991 [4]. En 2020, 58 % des participants à la cohorte ont signalé avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie. Parmi eux, 36, soit 10 %, ont indiqué l’avoir consommé pour des raisons médicales. Un tiers d’entre eux ont été entretenus. De ces entretiens, cinq grands thèmes ont émergé.

  • Un apaisement du vécu traumatique grâce au cannabis :

Les personnes entretenues ressentent un mal-être qui a débuté, pour la plupart d’entre elles, au cours de l’adolescence. Elles sont mal dans leur peau et utilisent le cannabis pour essayer de se sentir mieux. Certains participants ne parviennent pas à se positionner face à un environnement violent, traumatisant ou des événements marquants de leur vie, comme, par exemple, le divorce de leurs parents, une maltraitance morale, pouvant venir des parents ou de l’entourage, ou encore un viol. Le cannabis est également utilisé par de nombreux participants en automédication pour soigner une dépression. L’apaisement interne provoqué par le cannabis est dû à une impossibilité d’apaiser l’environnement violent. Les consommateurs font preuve d’une forme de résignation, au-delà même d’une certaine résilience.

  • Une relation ambivalente au cannabis et à ses proches :

Les participants connaissent les risques liés à la consommation du cannabis. Ils assument cette consommation, mais en même temps la regrette et en ont honte. Ils ne sont pas fiers d’eux. Par ailleurs, ils se sentent parfois jugés pour leur consommation par leur entourage.

  • Une incompréhension face à la diabolisation du cannabis :

Selon certains participants ayant de nombreuses connaissances sur le sujet, la consommation de cannabis est globalement diabolisée. Ils ne comprennent pas cette diabolisation jugée illogique comparativement à la consommation d’alcool et de tabac, des drogues licites et acceptées, une diabolisation par ailleurs prônée par leurs parents pourtant ex « soixante-huitards ».

  • Une consommation récréative dans le cadre d’une expérimentation :

La plupart des participants recherchent une sensation de bien-être et de plaisir et l’apprécie. De plus, ils consomment du cannabis qui, pour eux, est également un symbole de transgression.

  • Un désir de parentalité exemplaire :

Les participants ont pour la plupart cette volonté d’être de bons parents. Ils tentent d’allier leur consommation de cannabis et leur rôle de parent, exercice parfois difficile. La majorité d’entre eux ne souhaite pas que ses enfants suivent son exemple et ne veut pas de cette consommation pour ses enfants.

Cette étude qualitative permet une meilleure connaissance des raisons de consommer du cannabis à l’âge adulte, entraînant un meilleur ciblage des campagnes de prévention, avec des messages plus adaptés. De plus, elle montre qu’il est important de sensibiliser les soignants, pour mieux reconnaître la souffrance des adolescents, afin de prévenir la consommation de substances psychoactives.

Références

[1] Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Rapport européen sur les drogues. Tendances et évolutions. [European Report about drugs. Tendencies and evolutions]. Publications Office of the European Union, Luxembourg 2019; 100 pages. Available at: http://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/11364/20191724_TDAT19001FRN_PDF.pdf

[2] Spilka S., Richard J.B., Le Nézet O, Janssen E., Brissot A., Philippon A., Shah J., Chyderiotis S., Andler R., Cogordan C. Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2017 [Levels of illicit drug use in France in 2017]. Tendances 2018; 128: 1-6. Available at: https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxssyb.pdf

[3] Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT). Attitudes, Représentations, aspiration et motivations lors de l’initiation aux substances psychoactives. Résultats de l’enquête qualitative ARAMIS [Attitudes, Representations, Aspirations and Motivations during the Initiation of Psychoactive Substances. Results of a qualitative study] Tendances 2017; Available at: https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxioy1.pdf

[4] Mary-Krause M., Herranz Bustamante J.J., Bolze C., Galéra C., Frombonne E.J., Melchior M. Cohort Profile: The Tempo Cohort study. International journal of Epidemiology 2021; 50: 1067-8k

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