Le COVID-19 et sa gestion augmentent les inégalités sociales de santé mentale

L’épidémie de COVID-19 a induit non seulement un nombre de décès important, mais aussi des conséquences en termes de morbidité, notamment une augmentation massive de la fréquence des problèmes de santé mentale, particulièrement les symptômes d’anxiété et de dépression. De nombreuses études montrent que ces problèmes de santé mentale sont distribués de manière très inégalitaire au sein de la population.

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Dans un article scientifique publié récemment dans la prestigieuse revue le Lancet, les auteurs appartenant au consortium COVID-19 Mental Disorders Collaborators ont observé une augmentation des troubles psychiatriques à travers le monde dans le contexte de l’épidémie de COVID-19 (1). À partir d’une analyse de 1674 sources de données constituées principalement en Europe et Amérique du Nord, mais aussi en Australie et en Asie, les auteurs observent une augmentation significative de la prévalence des troubles dépressifs et anxieux. En France, l’étude COVIPREV menée par Santé Publique France estime que la prévalence de ces troubles a doublé par rapport à leur niveau avant la pandémie (2).

L’étude publiée dans le Lancet souligne l’augmentation du risque de troubles psychiques dans certains groupes et en particulier chez les femmes et chez les jeunes. Ces résultats sont tout à fait en phase avec l’étude COVIPREV, qui montre que les symptômes dépressifs et anxieux touchent respectivement environ 17% et 23% des adultes de plus de 18 ans. Ces moyennes cachent en réalité des taux environ deux fois plus élevés chez les femmes que chez les hommes et chez les 18-25 ans par rapport aux autres groupes plus âgés. L’étude publiée dans le Lancet évoque le fait que la situation sociale des femmes est souvent moins avantageuse que celle des hommes pour expliquer leur risque élevé de difficultés psychologiques, particulièrement dans le contexte de l’épidémie de COVID-19. Néanmoins, la question des inégalités sociales grandissantes vis-à-vis des problèmes de santé mentale n’est pas abordée en tant que telle.

Or le fait d’avoir une situation sociale défavorisée est un facteur de risque connu de troubles de la santé mentale (3). Dans le contexte de l’épidémie de COVID-19, il a été montré que le poids des problèmes psychologiques est largement concentré parmi les personnes qui n’ont pas d’emploi (3), travaillent dans des conditions précaires (4), ont de faibles revenus (5), ou n’ont pas de logement fixe (6). Ces inégalités sociales vis-à-vis de la santé mentale ont également été observées chez les enfants (7, 8). Enfin, une étude menée auprès de 11000 personnes participant à une enquête réalisée dans 30 pays montre que l’ampleur des inégalités sociales face à la santé mentale varie en fonction du niveau de diffusion de l’épidémie, ce qui suggère qu’il s’agit là d’un impact direct du COVID-19 et de sa gestion (9).

Ces inégalités sociales face à la santé mentale devraient être prises en compte dans les stratégies de prévention et d’accompagnement des besoins psychologiques de la population. Premièrement, alors que la pandémie et les mesures préventives mises en place ont poussé des millions de personnes vers la pauvreté, comme le montre un rapport de l’OCDE paru courant 2021 (10), et ont empêché des millions d’enfants et adolescents de suivre une scolarité normale, les conséquences sociales et économiques du COVID-19 (11), et leur impact potentiel sur la santé mentale, sont encore à venir. Deuxièmement, les personnes qui ont les situations sociales les plus défavorisées sont celles qui accèdent le moins à des soins de santé mentale de qualité, ce qui contribue à un cercle vicieux entre difficultés psychologiques et sociales (12). On ne peut que se féliciter du fait que la santé mentale, longtemps délaissée, soit désormais au cœur des préoccupations de nos gouvernants et du système de surveillance de la santé des français. Mais pour être efficaces, les politiques de santé et de la gestion de l’épidémie de COVID-19 doivent dès maintenant prendre en compte les déterminants sociaux de la santé mentale et de l’accès aux soins. À ce titre, la traduction concrète des annonces faites en clôture des Assises de la Psychiatrie et de la Santé mentale en septembre 2021, notamment le remboursement des soins prodigués par des psychologues et le renforcement des actions de prévention, sont particulièrement attendues.

Références

1.            Global prevalence and burden of depressive and anxiety disorders in 204 countries and territories in 2020 due to the COVID-19 pandemic. Lancet. 2021;398(10312):1700-12.

2.       https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/coviprev-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie-de-covid-19#block-249162    

3. Dohrenwend BP, Levav I, Shrout PE, Schwartz S, Naveh G, Link BG, et al. Socioeconomic status and psychiatric disorders: the causation-selection issue. Science. 1992;255(5047):946-52.

4.            Gagné T, Nandi A, Schoon I. Time trend analysis of social inequalities in psychological distress among young adults before and during the pandemic: evidence from the UK Household Longitudinal Study COVID-19 waves. Journal of Epidemiology and Community Health. 2021.

5.            McNamara CL, McKee M, Stuckler D. Precarious employment and health in the context of COVID-19: a rapid scoping umbrella review. European Journal of Public Health. 2021;31(Supplement_4):iv40-iv9.

6.            Ettman CK, Cohen GH, Abdalla SM, Sampson L, Trinquart L, Castrucci BC, et al. Persistent depressive symptoms during COVID-19: a national, population-representative, longitudinal study of U.S. adults. Lancet Regional Health America. 2021:100091.

7.            Scarlett H, Davisse-Paturet C, Longchamps C, Aarbaoui TE, Allaire C, Colleville AC, et al. Depression during the COVID-19 pandemic amongst residents of homeless shelters in France. Journal of Affective Disorders Reports. 2021;6:100243.

8.            Monnier M, Moulin F, Thierry X, Vandentorren S, Côté S, Barbosa S, et al. Children’s mental and behavioral health, schooling, and socioeconomic characteristics during school closure in France due to COVID-19: the SAPRIS project. Science Reports. 2021;11(1):22373.

9.            Moulin F, El-Aarbaoui T, Bustamante JJH, Héron M, Mary-Krause M, Rouquette A, et al. Risk and protective factors related to children’s symptoms of emotional difficulties and hyperactivity/inattention during the COVID-19-related lockdown in France: results from a community sample. European Child and Adolescent Psychiatry. 2021:1-12.

10.            Maffly-Kipp J, Eisenbeck N, Carreno DF, Hicks J. Mental health inequalities increase as a function of COVID-19 pandemic severity levels. Social Science and Medicine. 2021;285:114275.

11.          OECD. The impact of COVID-19 on employment and jobs. 2021. [https://www.oecd.org/fr/emploi/covid-19.htm]

12.          UNICEF. COVID-19 and school closures. 2021. [https://data.unicef.org/resources/one-year-of-covid-19-and-school-closures/]

13.          Elwadhi D, Cohen A. Social inequalities in antidepressant treatment outcomes: a systematic review. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology. 2020;55(10):1241-59.

Auteur : Maria Melchior

Docteur en sciences en épidémiologie sociale (Université de Harvard) et Habilitée à Diriger des Recherches (UVSQ), je suis Directeur de recherche à l’Inserm. Mes recherches portent sur les inégalités sociales dans le domaine de la santé mentale et des addictions. J'ai un intérêt particulier pour les liens entre situation sociale et trajectoires de santé mentale depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, ainsi que la transmission intergénérationnelle des troubles psychiatriques. Mes travaux reposent principalement sur des données de cohortes longitudinales menées en France (EDEN, ELFE, TEMPO, CONSTANCES) ou dans d’autres pays (Dunedin en Nouvelle-Zélande, ELDEQ au Canada, Danish National Birth Cohort Study au Danemark). J'ai reçu le Research Prize de la European Psychiatric Association (2012) et le Early Career Award de l’International Society of Behavioral Medicine (2004) et suis l’auteure ou la co-auteure de cent articles originaux publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture.

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